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Pascal est né avec un fonds de religion spontanée et de mysticisme héréditaire et sans doute accumulé, car sa ferveur religieuse passait de beaucoup la piété de son père, enclin, quoique savant, à croire au surnaturel ; sa mère était sans doute pieuse aussi. Il est né, d’autre part, avec des facultés intellectuelles tout opposées à son penchant religieux, avec un génie scientifique également héréditaire et supérieur à celui de son père. Il était doué d’une sensibilité à la fois délicate et fière, vive et concentrée, qui, dans le domaine de la religion comme dans celui de la science, a régi son activité. Les moteurs passionnels de celle-ci furent, en outre, surexcités par une maladie obscure qui, procédant du cerveau, intéressait à coup sûr le système nerveux, et qui le tourmentait depuis l’âge de dix-huit ans. Il devint mélancolique sans perdre de sa fougue. La logique de son esprit n’en fut point altérée, car il fit des découvertes admirables en mathématiques pendant toute sa carrière jusqu’au moment où son mal atteignit la racine même de sa volonté, sa puissance de réflexion. Mais dans l’ordre des spéculations religieuses, où la raison a moins de part que la foi, où la passion s’associe aisément à la croyance, son zèle ne fit, en s’assombrissant, qu’exalter sa méditation. Tandis qu’en lui le penseur savant avait atteint à l’apogée de sa force, le penseur chrétien sentait se décupler la sienne, si bien qu’un jour l’équilibre instable où les aptitudes du premier tenaient en échec et balançaient le penchant mystique du second se rompit au profit de celui-ci.

La vie morale de Pascal se divise en cinq périodes nettement distinctes, dont chacune a rencontré pour se développer des conditions particulièrement propices. Pendant sa première enfance jusqu’au moment où l’attrait de la géométrie s’accentua chez lui au point de devenir irrésistible, il trouva dans son père, qui fut son seul maître, toute la complaisance désirable pour satisfaire sa curiosité générale et exercer son intelligence par d’ingénieuses leçons de choses et une saine culture littéraire: c’est uniquement pour ne lui susciter aucune distraction à l’étude des langues qu’il lui dissimula d’abord l’existence des mathématiques et lui en refusa l’initiation. Il donna d’ailleurs complète satisfaction à son tempérament mystique en lui enseignant le dogme et la pratique du catholicisme. Vers sa douzième année, sa curiosité de la physique, mais surtout des mathématiques, se déclare impérieuse, et l’on se rappelle dans quelles circonstances Etienne Pascal lui mit les Elémens d’Euclide entre les mains. Mais aussitôt (s’il ne l’avait déjà fait), il sauvegarda en lui le dépôt sacré de l’enseignement religieux, en séparant celui-ci par une barrière infranchissable de la sphère des sciences positives. Jusqu’à l’âge de vingt-trois ans, le jeune Blaise