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aisément acceptée et si pénétrante. Aussitôt que l’éveil étonnamment précoce de la raison de l’enfant eût pu menacer les assises de sa croyance, le père en a prévenu le danger ; il l’a tout de suite averti que le savoir a deux formules différentes, deux provinces distinctes, séparées par une muraille infranchissable : le dogme catholique et la notion rationnelle. Dès lors la curiosité de l’enfant, endormie et refrénée du côté des principes transcendans, dont il n’était guère soucieux encore, s’est portée tout entière du côté de la création. Pourvu qu’on ne l’empêchât pas d’observer la nature, de chercher pourquoi et comment son assiette résonnait sous son couteau, il n’avait aucun motif de se refuser à faire sa prière. Il a subi la puissance incalculable de l’habitude qui lui joignait les mains à table pendant le bénédicité, le matin et le soir au pied de son lit. Cependant, son génie s’affirmait et se développait ; son père lui permit de lire Euclide (c’était plus sage que de lui laisser deviner) et bientôt, émerveillé de ses progrès, le fit assister aux réunions hebdomadaires de ses savans amis. Il est bien possible et même probable qu’à dater de cette double initiation, l’Evangile fut lu d’un regard moins arrêté, les sermons furent écoutés d’une oreille moins attentive. C’était moins du refroidissement peut-être que de la distraction. «... Comme il trouvait dans cette science (la géométrie) la vérité qu’il avait si ardemment cherchée, il en était si satisfait qu’il y mettait son esprit tout entier... » (Mme Périer.) On admettra sans peine aussi que les inquiétudes et les vagues rêveries de l’adolescence aient pu contribuer à quelque négligence des pieuses pratiques. Toujours est-il que, vers l’âge de vingt-quatre ans, il y eut dans l’âme du jeune homme un regain, sinon un retour, de ferveur religieuse : « Il avait été jusqu’alors, dit Mme Périer, préservé, par une protection de Dieu particulière, de tous les vices de la jeunesse, et ce qui est encore plus étrange à un esprit de cette trempe et de ce caractère, il ne s’était jamais porté au libertinage pour ce qui regarde la religion, ayant toujours borné sa curiosité aux choses naturelles. » Notons qu’à la même époque, à vingt-trois ans, il était si occupé de celles ci qu’il confirmait l’expérience de Torricelli par ses propres expériences; c’est la date de sa fameuse expérience du vide sur le Puy-de-Dôme. On est donc autorisé à penser que la passion religieuse était encore assoupie et latente en lui. Mais elle y couvait, n’attendant qu’un signe et une direction pour l’entraîner, lorsqu’il rencontra les deux gentilshommes, MM. de la Bouteillerie et Deslandes, au chevet du lit de son père, qui s’était démis une cuisse en tombant sur la glace. Ce furent ces pieux personnages qui lui mirent entre les mains l’ouvrage de Jansénius (Mme Périer, Vie de sa sœur Jacqueline).