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faut pas s’étonner que la foi dans l’Evangile supplée dans son âme le sentiment du beau, qui est aussi une profession de foi religieuse. Malheureusement sa croyance jalouse, ennemie de la raison, au lieu d’en être le sublime auxiliaire comme le sens esthétique, s’est appliquée à la ruiner. Mais voyons jusqu’à quel point son génie a été complice de sa foi. Examinons de près son prétendu scepticisme et cherchons quelle prise effective le doute a eue sur son cerveau. Nous remarquons d’abord que, aussitôt sorti de son oratoire, dès qu’il redevient géomètre et physicien, il revendique la véracité pour les propositions initiales des sciences exactes où il excelle, — il les reconnaît et les déclare indubitables, éminemment certaines. Cartésien alors sans le vouloir, il en trouve l’inébranlable assise dans la conscience même, à la commune racine du sentir et du connaître, à cette profondeur intime où ces deux fonctions psychiques ne se sont pas encore différenciées ; où ne s’est pas encore opérée entre elles la division, encore inutile, du travail moral; où l’idée s’identifie, dans l’acte de conscience, à l’affection sensible, et l’affirmation au concept même du fait ou du rapport affirmé, sans avoir à s’y enchaîner de loin par les anneaux du raisonnement. Dans ce domaine privilégié de l’intuition l’on ne saurait dire si l’on pense ou si l’on sent; l’un ne se distingue pas de l’autre. Aussi Pascal ne craint-il pas d’appliquer le mot cœur à l’intelligence intuitive. « Le cœur connaît la vérité. » — « Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace. » Pris dans cette acception hardie, c’est le cœur qui affirme toutes les propositions fondamentales, les axiomes de la géométrie au même titre que les principes de l’éthique ; le concept intuitif de la ligne droite relève du cœur aussi bien que celui de l’obligation morale. De là vient que l’évidence de ces concepts ne peut pas plus être illusoire que les affections sensibles, le plaisir ou la douleur, la joie ou la peine, le bleu ou le noir, le doux ou l’amer. On doit bien à la mémoire de Pascal d’admettre que, même s’il fût ne avant l’ère chrétienne, il n’eût pas manqué de ce qu’on nomme le sens moral, qu’il eût trouvé au fond de sa conscience l’aveu des droits d’autrui limitant les siens. On serait donc tenté de s’étonner qu’il soit si jaloux des privilèges de l’intuition quand il s’agit des sciences positives, et qu’il en fasse si bon marché, qu’il les méconnaisse à plaisir quand il s’agit de la morale et de la politique instituées par la raison. Mais cette inconséquence n’est que trop aisée à expliquer. La géométrie, la mécanique et la physique n’ont rien à attendre de la religion catholique; leur fondement est ailleurs, de sorte que, si le pyrrhonisme les atteignait, ces sciences seraient irrémédiablement infirmées; condamnation trop cruelle pour le génie de Pascal, fier malgré lui