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s’effraiera de soi-même, et, se considérant soutenu entre ces deux abîmes de l’infini et du néant, il tremblera à la vue de ces merveilles, et je crois que, sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler on silence qu’à les rechercher avec présomption. »

La conclusion du premier fragment de son traité De l’Esprit géométrique est importante : « Mais ceux qui verront clairement ces vérités (géométriques) pourront admirer la grandeur et la puissance de la nature (il ne s’agit ici que de la nature) dans cette double infinité qui nous environne de toutes parts et apprendre, par cette considération merveilleuse, à se connaître eux-mêmes, en se regardant placés entre une infinité et un néant d’étendue, entre une infinité et un néant de nombre, entre une infinité et un néant de mouvement, entre une infinité et un néant de temps. Sur quoi on peut apprendre à s’estimer à son juste prix et former des réflexions qui valent mieux que tout le reste de la géométrie même. »

Pascal, dans ce passage, n’envisageant que les infinis physiques, ne prouve qu’une chose en y comparant l’homme, c’est que la taille de celui-ci, la durée et l’activité de son corps, ne sont, en réalité, ni grandes ni petites, mais simplement de la quantité. Remarquons en passant qu’en pareille matière le langage trompe : la grandeur, synonyme de la quantité géométrique, n’a pas la même signification que grand, synonyme de beaucoup, qui a pour contraire petit, tandis que la grandeur, dans le sens de la quantité, n’a pas de contraire. Il en résulte cette logomachie qu’une valeur petite est une grandeur qui n’est pas grande. Les mots grand et petit n’ont, au fond, qu’un sens esthétique, mis en évidence quand on l’applique aux infinis; au lieu de dire l’infiniment grand et l’infiniment petit, on devrait dire la quantité infiniment accrue et infiniment décrue, ou, comme l’entendent les mathématiciens, la quantité indéfiniment croissante et la quantité indéfiniment décroissante ; indéterminément progressive d’une part, indéterminément régressive de l’autre. L’infiniment grand humilie l’homme physique; mais, en revanche, l’infiniment petit le relève d’autant. Si donc la valeur de l’homme ne s’estimait qu’à celle de ses attributs physiques, il n’y aurait même pas lieu d’en parler : elle ne serait ni grande ni petite en elle-même; elle ne ferait que surpasser ou n’atteindre pas tel ou tel terme arbitraire de comparaison; elle ne serait que de la quantité finie, dépourvue, comme telle, de tout sens esthétique, de toute portée morale. Dans ces conditions, apprendre, comme le dit Pascal, à s’estimer à son juste prix par la considération des infinis physiques, cela revient, pour l’homme, à placer sa valeur ailleurs que dans ses attributs physiques. Pascal, du reste, bien qu’il ne