Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/781

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toujours pris de le cacher, même à ses proches. » Il possédait le sens le plus droit de la beauté littéraire, qui consiste dans la parfaite adaptation du signe verbal à l’idée, et du mouvement de la phrase au mouvement de l’âme. Il l’éloquence est une peinture de la pensée, et ainsi ceux qui, après avoir peint, ajoutent encore, font un tableau au lieu d’un portrait, » dit-il lui-même. Et ailleurs : « Quand on voit le style naturel, on est tout étonné et ravi, car on s’attendait devoir un auteur, et on trouve un homme... Ceux-là honorent bien la nature, qui lui apprennent qu’elle peut parler de tout, et même de théologie. » La beauté littéraire est en quelque sorte mathématique par la justesse du mot, et elle est musicale par la cadence de la phrase. En tant que musicale, elle est, au premier chef, expressive. Mais comme ce qu’elle exprime est la pensée même et l’émotion de l’écrivain, elle n’est révélatrice du divin qu’autant que l’une et l’autre y confinent par l’aspiration ; autrement dit, elle ne l’est qu’autant que la poésie est en jeu. Or Pascal éprouve en face des infinis, et dans la considération de la grandeur et de la misère humaines, un trouble éminemment poétique, le plus poétique possible ; son style reflète ce trouble, et en cela il est poète. Mais, par une étrange inconscience, il méconnaît tout à fait la portée du sentiment poétique. Il ne voit pas que c’est l’indéfinissable, le divin, qui fournit à la poésie sa matière propre. « Comme on dit beauté poétique, on devrait aussi dire beauté géométrique et beauté médicinale. Cependant on ne le dit point : et la raison en est qu’on sait bien quel est l’objet de la géométrie, et qu’il consiste en preuves, et quel est l’objet de la médecine, et qu’il consiste en la guérison ; mais on ne sait pas en quoi consiste l’agrément, qui est l’objet de la poésie. On ne sait ce que c’est que ce modèle naturel qu’il faut imiter ; et, à faute de cette connaissance, on a inventé de certains termes bizarres : siècle d’or, merveille de nos jours, fatal, etc., et on appelle ce jargon beauté poétique... » On voudrait bien pouvoir dire qu’il vise seulement ici la fausse poésie. Hélas! non : il condamne la vraie avec la fausse, par cela seul qu’il raille, dans la poésie, l’indétermination de son objet, par suite l’aspiration, qui en est l’essence même. Il ne s’aperçoit pas qu’une pareille critique dépasse de beaucoup son but; qu’elle n’atteint pas seulement la poésie littéraire, mais aussi le principe même du beau, la poésie plastique et musicale, ajoutons le sentiment religieux. Si, en effet, siècle d’or, merveille de nos jours, fatal,.. sont un jargon (ce que nous reconnaissons d’ailleurs), n’est-il pas à craindre que la tentative de conciliation entre le libre arbitre et la grâce, même au sens janséniste du mot, n’en ait engendré un plus aisé encore à ridiculiser? L’Homme-Dieu