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terre ; elle peut se flatter d’avoir assouvi l’aspiration la plus insatiable et la plus haute. Malheureusement pour son autorité, elle n’a pas conquis le génie tout entier de Pascal ; elle ne s’en est pas assujetti la fonction capitale, la critique rationnelle, qui s’est détournée sur la physique et la géométrie. Si le chrétien eût employé à discuter les sources des livres saints la même sagacité puissante que le physicien apportait dans l’examen des conditions de l’équilibre des liqueurs, la même rigoureuse exactitude, la même pénétration qui permirent au géomètre d’instituer la théorie de la cycloïde sans le secours de l’algèbre, le dogme eût difficilement résisté à l’analyse implacable du savant ; mais le cœur n’en eût pas moins gardé ses droits dans le domaine de l’esthétique, c’est-à-dire du Beau révélant le divin tel que nous l’avons défini.


III.

Les écrits de Pascal ne fournissent pas un témoignage précis et complet de son sens esthétique. Il n’y manifeste nulle part son admiration pour aucune production particulière de la nature ou des beaux-arts. Son aperçu étrange sur la peinture est général, applicable à tous les arts représentatifs : « Quelle vanité que la peinture, qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire point les originaux ! » On en pourrait inférer qu’il ignorait les conditions et l’objet de ces arts. Dans son Discours sur les passions de l’amour, on trouve une théorie, toute platonicienne, du beau dans l’univers, et spécialement de la beauté corporelle. Mais ce n’est qu’une théorie ; l’observation du sens esthétique en autrui peut avoir suffi à la lui suggérer. Ce sont des vues abstraites qui ne supposent pas nécessairement l’émotion esthétique chez celui qui les a émises. On peut admettre sans témérité qu’il était médiocrement apte à jouir des beaux-arts. Il n’était artiste qu’en langage, mais il l’était à un degré extraordinaire. Mme Périer décrit très bien son éloquence : « Il avait une éloquence naturelle qui lui donnait une facilité merveilleuse à dire ce qu’il voulait ; mais il avait ajouté à cela des règles dont on ne s’était pas encore avisé, et dont il se servait si avantageusement qu’il était maître de son style ; en sorte que non-seulement il disait ce qu’il voulait, mais il le disait en la manière qu’il voulait, et son discours faisait l’effet qu’il s’était proposé. » Elle relève encore en lui ce qui fait vraiment l’artiste : l’originalité. « Et cette manière d’écrire naturelle, naïve et forte en même temps, lui était si propre et si particulière, qu’aussitôt qu’on vit paraître les Lettres au provincial, on vit bien qu’elles étaient de lui, quelque soin qu’il ait