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vous y êtes né, dira-t-on. Tant s’en faut : je me raidis contre, par cette raison-là même, de peur que cette prévention ne me suborne. Mais, quoique j’y sois né, je ne laisse pas de le trouver ainsi. » Par ces paroles, il remonte de l’enseignement traditionnel à la révélation naturelle ; car, en se plaçant hors du terrain de la tradition pour juger le christianisme, il le juge avec son sentiment religieux et il l’admire parce que celui-ci y trouve une entière satisfaction. — « Il n’y aurait pas tant de fausses religions s’il n’y en avait une véritable. « Il développe cette pensée dans des considérations qui n’empruntent rien à la doctrine chrétienne. Ailleurs, lorsqu’il signale, dans une page célèbre, l’étrange concomitance de la grandeur et de la bassesse dans la nature présente de l’homme, il ne commente pas un texte sacré, il observe directement la condition humaine, et il demande au dogme la solution du problème que sa conscience se pose; il lui demande de justifier la nature et de l’expliquer pour satisfaire le plus impérieux besoin de son âme, le besoin d’universelle perfection, qui est religieux : « La nature est telle qu’elle marque partout un Dieu perdu, et dans l’homme, et hors de l’homme, et une nature corrompue... » — «... Car n’est-il pas plus clair que le jour que nous sentons en nous-mêmes des caractères ineffaçables d’excellence? Et n’est-il pas aussi véritable que nous éprouvons à toute heure les effets de notre déplorable condition? » Enfin, tout le principe de la révélation naturelle est contenu dans le fragment fameux : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Je dis que le cœur aime l’Etre universel naturellement et soi-même naturellement, selon qu’il s’y adonne; et il se durcit contre l’un ou l’autre, à son choix. Vous avez rejeté l’un et conservé l’autre; est-ce par raison que vous aimez? C’est le cœur qui sent et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi : Dieu sensible au cœur, non à la raison.» Cette définition de la foi concorde avec celle que nous avons proposée plus haut, à cela près qu’elle précise et personnifie le divin et qu’elle en attribue au cœur non-seulement le témoignage, mais encore l’affirmation (comme le fait d’ailleurs Pascal pour tous les postulats géométriques ou autres) ; elle implique l’essentiel, à savoir une révélation du divin par le cœur, non par la tradition. Ce n’est pas la religion chrétienne qui a déposé dans le cœur de Pascal cette foi-là ; le christianisme en a seulement bénéficié quand, avant tout examen qui pût déterminer son choix entre les divers cultes, son père lui a, dès l’enfance, inculqué la préférence pour le dogme chrétien. Rien n’a jamais fait plus honneur à cette religion que d’avoir subi victorieusement l’épreuve, nous ne dirons pas de la raison, mais du cœur de l’un des plus dignes représentans du genre humain sur la