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que par une extase contemplative qu’on communique avec cet objet du vœu suprême. Ce n’en est pas moins une communication, si incomplète qu’elle soit, car l’idéal est exprimé en nous par la perception du beau plastique et musical : il a donc quelque chose de commun avec notre essence, avec le plus intime de notre être. Le sentiment que nous en avons serait donc objectif. Celui qu’éveille au plus profond de notre âme une belle action est, avec plus de probabilité encore, objectif. Dans ce cas, en effet, le jugement précède l’admiration. La victoire de la volonté réfléchie sur l’appétit sourd et sur l’instinct aveugle nous transporte, c’est-à-dire qu’elle nous porte, non plus au moyen d’un symbole, mais directement, aux derniers confins du monde terrestre et d’un monde où l’homme dépouillerait l’animalité égoïste et brutale pour ne garder de sa nature mixte que les caractères purement humains, ceux qui le différencient de la bête. L’héroïsme, l’oubli de soi-même pour la cause du bien, élève l’homme jusqu’à la limite supérieure de la vie terrestre condamnée, en deçà, au conflit des appétits individuels. À ce point de vue, le désintéressement revêt une beauté révélatrice encore de l’au-delà, car il est tout à fait irréductible à une origine animale, et c’est seulement par exception, chez la plus rare élite de l’humanité, qu’il touche à l’abnégation complète et fait naître l’admiration en devenant beau.

Ainsi le sentiment du Beau dans la nature, les arts et la morale aurait un objet situé hors de nos prises, mais dont nous aurions l’intuition dans notre conscience, et c’est là le fondement des actes spontanés de foi religieuse. On peut définir la foi : l’intuition et l’affirmation, sur le seul témoignage du cœur, de ce qu’on nomme la divinité, c’est-à-dire du postulat indispensable pour expliquer et justifier ce que nous voyons de l’Univers. Et c’est le Beau, imprimé dans les formes et manifesté aussi par les actions, qui en est le révélateur, qui est le texte sacré, la sainte écriture par excellence. Au fond, le sentiment du Beau est l’intuition instinctive du divin, la plus incontestable révélation religieuse. Il y a de la piété dans l’admiration; elle est grave, silencieuse. Le statuaire, devant un modèle féminin, dès qu’il a saisi l’ébauchoir, sent l’admiration chasser le désir. Dans la physionomie du modèle, l’expression esthétique efface même alors à ses yeux l’expression passionnelle de tous les sentimens nommés ; il ne voit plus que le beau plastique, symbole du divin.

Mais, dira-t-on, si l’objet de l’aspiration esthétique n’a rien de terrestre, comment, nous qui sommes terrestres, pouvons-nous avoir la moindre communication avec cet objet transcendant? L’objection, qui aurait pu nous arrêter tout d’abord, n’est que spécieuse.