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C’est une effervescence peut-être peu profonde et momentanée. Ce qui est clair, c’est que pour l’instant une malheureuse impopularité s’attache à ce traité anglo-portugais comme à ceux qui l’ont signé, et, comme il faut que quelqu’un paie pour tous dans les momens d’émotion nationale, le ministère s’est senti le premier atteint, paralysé par cette agitation qui dure encore. Tout compte fait, c’est le second ministère compromis à Lisbonne par ces affaires et par les procédés britanniques. Le ministère Barros-Gomez est tombé sous le coup de l’ultimatum anglais. Le ministère Seroa-Pimentel, qui n’a fait que recueillir de ses prédécesseurs l’épineux incident, plie à son tour sous le poids de la convention qu’il vient de signer, qu’il ne s’est pas senti de force à imposer. Il a avoué son impuissance par sa démission, et cette crise nouvelle est d’autant plus délicate qu’elle s’ouvre dans un moment où le jeune roi don Carlos relève à peine et assez lentement d’une maladie des plus graves. M. Serpa-Pimentel a cru devoir remettre ses pouvoirs au souverain, rendre à la couronne sa liberté. La question, depuis quelques jours déjà, est de le remplacer. On a essayé, à ce qu’il semble, diverses combinaisons ; un ministère Serpa-Pimentel remanié, un ministère avec un officier du génie estimé, le général Abrece, un ministère avec l’ambassadeur de Portugal à Rome, M. Ferrao Martenz, un ministère d’alliance patriotique entre les principaux partis. Quel que soit le nouveau ministère, la première difficulté est toujours de prendre une résolution, de se décider à négocier pour n’obtenir vraisemblablement que d’insignifiantes concessions de détail, ou de se résigner à accepter l’arrangement qui a été communiqué aux Cortès. Malgré tout, malgré la confusion qui paraît régner à Lisbonne, il n’est pas dit que tout ne finira pas par un acte de résignation à ce qu’on ne peut éviter, par la sanction du traité tel qu’il est.

Ce sera peut-être encore, à l’heure qu’il est, ce qu’il y aura de plus sage, de plus politique ; mais il est bien clair que, si on en finit avec la crise diplomatique, on n’en aura pas fini avec la crise intérieure, avec les récriminations, les ressentimens et les agitations. Les Portugais éclairés pourront se soumettre; les partis révolutionnaires exploiteront l’impopularité d’une apparence d’humiliation publique contre le ministère, contre le parlement, contre la monarchie elle-même. Sans être nombreux, les républicains portugais ne sont pas moins des ennemis à craindre, surtout s’ils trouvent un prétexte dans les griefs d’une petite nationalité offensée. Ils ne cachent pas leurs desseins contre les institutions, et c’est ainsi que, pour un abus de prépotence, l’Angleterre expose le Portugal à une épreuve dont il peut longtemps ressentir le contrecoup dans sa sécurité, peut-être même dans ses libertés.


CH. DE MAZADE.