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politique au-delà des Pyrénées est dispersé pour la saison. La reine-régente est dans les provinces basques, où elle retrouve tous les ans, avec l’air vivifiant de la mer pour le jeune roi, l’accueil sympathique de populations simples et franches. Les ministres se succèdent auprès de la reine, ou, comme nos ministres de France sont sur les chemins. Les chefs de partis, les personnages mondains se pressent dans ces parages privilégiés de Saint-Sébastien et de Biarritz, qui sont depuis longtemps-le rendez-vous d’été de la société espagnole. D’autres viennent à Paris, comme M. Castelar ou comme M. Sagasta, qui se délasse de cinq ans de ministère en se moquant peut-être un peu de ceux qui vont l’interroger, en leur parlant de la tour Eiffel. La politique espagnole, en un mot, prend ses vacances. C’est affaire de saison. Ce n’est pas que sous cette apparence de paix tout soit simple et facile au-delà des Pyrénées. Qu’un bon vent d’été ait dissipé tous les nuages, sans parler des incidens délicats de diplomatie, comme le conflit qu’elle a eu dans ces derniers temps avec le Maroc et qui peut toujours se renouveler, l’Espagne ne cesse pas d’avoir devant elle toutes sortes de questions économiques, militaires, sociales, qui divisent profondément les esprits, elle a ses finances à réorganiser, son système commercial à régler, ses populations laborieuses à satisfaire, — et tout cela, avec un ministère nouveau qui date de deux mois à peine, avec la perspective d’un renouvellement prochain de toutes ses assemblées par le suffrage universel récemment restauré. Telle qu’elle est, en définitive, avec ses complications et ses incertitudes, cette situation ne laisse pas d’avoir une certaine originalité, même une certaine nouveauté, et de révéler un singulier travail des partis au-delà des Pyrénées.

Qu’est-ce que ce ministère qui s’est formé il y a deux mois, sous la présidence d’un des hommes les plus éminens de l’Espagne, M. Canovas del Castillo, qui a repris la direction des affaires de la régence après les cinq ans de règne libéral de M. Sagasta? C’est un ministère conservateur, sans doute; ce n’est pas un ministère de réaction et d’immobilité. Ce qu’il y a précisément d’original dans cette situation nouvelle de l’Espagne, c’est un changement de pouvoir qui n’est pas une quasi-révolution. C’est ce fait d’un ministère conservateur arrivant au pouvoir sans préjugés, sans arrière-pensées de réaction, acceptant sans subterfuge les réformes politiques ou civiles de ses prédécesseurs. Le ministre de l’intérieur, M. Silvela, dans ses circulaires les plus récentes, interprète libéralement les lois les plus libérales. Le chef du cabinet lui-même ne se borne pas à accepter les réformes de M. Sagasta; il a visité récemment les provinces basques, il est allé à Saint-Sébastien, à Vittoria, et, dans les discours familiers qu’il a prononcés, il n’a pas craint d’aborder les problèmes sociaux, qui sont partout aujourd’hui. Il a même exprimé le désir de voir les ouvriers se présenter aux prochaines Cortès; il s’est fait appeler, lui aussi, socialiste!