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de l’Amynta, du Pastor fido; de la Diane espagnole de Montemayor, trois fois traduite en vingt-cinq ans, de 1578 à 1603; le prodigieux succès de l’Astrée, dont les premiers volumes paraissaient en 1607 ou en 1610, avaient mis la pastorale, ou, comme on l’appelait souvent alors, la « fable bocagère » à la mode. Enfin les romans, ou plutôt les nouvelles des conteurs espagnols et italiens, de Bandello, par exemple, ou de Cervantes, étaient pour ainsi dire presque autant de tragi-comédies toutes faites qu’il suffisait d’un peu d’adresse pour adapter au théâtre. Ignorant ou incertain qu’il était du vrai goût du public, uniquement soucieux de réussir, Hardy essaya donc alternativement de la pastorale, de la tragédie, de la tragi-comédie, sans autre ambition, plus littéraire ni plus haute, que d’attirer les spectateurs à l’hôtel de Bourgogne. Il leur en donna, comme on dit familièrement, de toutes les façons, pour voir celle qui finirait par leur plaire. Mais comme le goût ne se forme pas en un jour, il s’attarda dans ces alternatives, et ses successeurs s’y attardèrent comme lui, — sans en excepter Corneille même, — jusqu’aux environs de 1640.

Par là se démêle et s’explique cette confusion que tous les historiens ont justement signalée dans cette période de l’histoire du théâtre français. Drames en prose et drames en vers, tragédies et tragi-comédies, drames historiques et drames légendaires, sujets pieux, sujets païens, pastorales mythologiques et bergeries amoureuses, on dirait au théâtre, comme un peu partout, d’ailleurs, le triomphe, non pas de la liberté, mais de l’indiscipline et du dérèglement. Ce sont les genres qui cherchent à prendre conscience d’eux-mêmes ; qui se différencient en quelque sorte les uns des autres; qui s’organisent; qui travaillent sourdement à dégager leur individualité de l’indétermination primitive. Parmi tant de formes voisines, on sent bien qu’il doit y en avoir une qui sera quelque jour supérieure aux autres, comme réalisant plus complètement le genre de plaisir qu’on demande au théâtre; comme étant plus conforme aux exigences du milieu social, de l’esprit du temps, du génie de la race; comme étant peut-être en soi capable de plus de beautés, et de beautés plus pures ou plus nobles. Mais on ne sait pas encore laquelle. Sera-ce la tragédie ? Sous l’influence du siècle qui finit, tout imprégné des souvenirs classiques, il semble qu’on le croie d’abord. Mais tout à coup, entre 1620 et 1625, la fable bocagère l’emporte ; on met l’Astrée tout entière au théâtre; il n’est plus question que de Céladons et de Silvanires, de Chryséides et d’Arimans, d’Aglantes et de Fossindes. Puis, à son tour, la tragi-comédie remplace la pastorale; c’est entre elle et la tragédie, dans l’œuvre des Scudéri, des Tristan, des Rotrou, des du Ryer, que se livre la dernière bataille, la plus chaude, celle où ne dédaigne pas d’intervenir Richelieu lui-même, et qui se terminera, grâce à l’auteur d’Horace et de Cinna, quoique pourtant en dépit de lui, par la victoire de la tragédie...