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ne commence enfin vraiment d’être qu’autant qu’elle monte sur la scène pour s’exposer au jugement des spectateurs assemblés. Les tragédies de Garnier, représentées dans les collèges, par des lettrés et pour des lettrés, écrites pour être lues, n’appartiennent qu’à peine, — et comme qui dirait pour mémoire, — à l’histoire du théâtre français.

Pour mettre ce point hors de doute, il suffit de rappeler, après M. Rigal, qu’au temps de Jodelle ou de Garnier, non-seulement il n’existait point, à Paris, de théâtre régulier, mais il ne pouvait pas même y en avoir. Depuis qu’un arrêt du parlement, rendu en 1548, avait interdit aux confrères de la Passion, — qui venaient justement alors de s’établir à l’hôtel de Bourgogne, — « de jouer le mystère de la Passion de notre Sauveur, ni autres mystères sacrés, sous peine d’amende arbitraire, » comme les confrères n’en avaient pas moins conservé le droit exclusif de donner des représentations théâtrales, — et, par conséquent, de les interdire à tous autres qu’eux-mêmes, — il en était résulté l’impossibilité de fonder ni théâtre permanent, ni troupe régulière, ni répertoire durable. Favorisé ou entretenu qu’il était par l’esprit processif et jaloux des confrères, d’une part, et, de l’autre, par le mépris qu’on affectait, dans l’école de Ronsard, pour les soties, moralités ou farces, et « autres pareilles épisseries, » cet état de choses ne dura guère moins de quarante ou cinquante ans. Sans doute aussi que parmi le tumulte des armes, — puisque c’est le temps alors des guerres de religion et des troubles de la Ligue, — on n’avait pas grand loisir pour songer au théâtre. Mais toujours est-il que pendant ces quarante ou cinquante ans, ni les troupes de province, en supposant qu’il en existât, ni les forains, ni les comédiens italiens ne purent prévaloir contre le privilège des confrères de la Passion ; que c’est à peine si l’on donna, dans les collèges ou dans les hôtels privés, quelques représentations, qui, n’ayant pas de lendemain, participaient plutôt du caractère d’une solennité que de celui d’un divertissement habituel ; et qu’enfin il fallut attendre que les confrères, n’attirant plus personne avec leurs farces, eussent pris d’eux-mêmes le parti de céder ou d’affermer leurs droits à de véritables comédiens[1].

On se précipita par la brèche. Les comédiens italiens, en dépit d’un arrêt d’expulsion, protégés qu’ils étaient par la faveur royale, commencèrent de jouer assez régulièrement ; les forains, en 1596, obtinrent un jugement qui consacra leurs droits ; le parlement refusa d’enregistrer la permission qu’Henri IV, en 1598, accorda aux confrères de reprendre leurs anciens mystères ; et une troupe régulière vint enfin se fixer à

  1. Voyez d’ailleurs sur toutes ces questions, encore imparfaitement débrouillées, un petit livre du même M. Rigal : Esquisse d’une histoire des théâtres de Paris, de 1548 à 1634. Paris, 1887 ; Dupret.