Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/685

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’or de vos pères. En haut, on ne vous entend pas; en bas, on ne peut vous comprendre, et des chants qui, ailleurs, enflammeraient les cœurs d’enthousiasme, effleurent l’oreille comme un souffle vain. Ce sont, en ce pays, des perles aux pourceaux……………………..

« Mes chers garçons, croyez-moi, si le démon de l’art tourmente votre âme, saisissez l’archet, le ciseau ou le pinceau, parlez au monde entier dans une langue que le monde entier comprenne, mais, je vous en conjure, ne prenez pas la plume du poète………………………

« Si nos efforts ne sont qu’un vain songe, si le cancer de l’abâtardissement continue à nous ronger, alors suspendez ma lyre parmi les cadres et les pots au mur de votre atelier comme un meuble du temps jadis. Si quelqu’un des petits vous demande un jour : — Qu’est-ce que c’est que cela? — Répondez-lui : — Votre grand-père jouait de cela; il voulait s’en servir pour tirer le peuple flamand de son sommeil ; mais c’était le sommeil de la mort. Hélas! il aimait son peuple du fond du cœur! Enfans, honorez toujours sa mémoire.

« Dites-leur cela ! Et dites-le-leur en flamand, s’ils le comprennent encore. Cela me fera peut-être du bien dans mon tombeau. »

L’avenir se chargera-t-il de justifier ces craintes?

Il en est des races et des littératures comme des corps organisés, qui naissent, se développent, dérobent à d’autres organismes l’air, la lumière, la nourriture, les détruisent, les absorbent, puis sont affamés, détruits, absorbés à leur tour. Dans cette lutte, malheur aux petits et aux faibles ! Sans doute, il est regrettable, douloureux de voir disparaître des civilisations originales avec la langue qui leur sert de véhicule et la littérature qui est leur expression. Mais c’est une loi inexorable qu’ont subie des langues et des littératures qui ont joué dans le monde un rôle autrement important que la langue et la littérature flamandes.

Placé comme un isthme étroit entre deux grandes mers toujours remuées et toujours montantes, dont les vagues sans cesse le rongent et le minent, le néerlandais ne pourra résister à cette double action, du français d’une part, de l’allemand de l’autre, que par un miracle. Si son existence est nécessaire à la civilisation universelle, au développement harmonique et complet de l’humanité, ce miracle se fera en sa faveur, et les efforts des travailleurs qui, péniblement, s’occupent à le consolider, seront couronnés de succès ; sinon, ils n’auront servi qu’à prouver une fois de plus que rien ne saurait prévaloir contre les lois fatales de l’évolution.


L. VAN KEYMEULEN.