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réalité pittoresque. Il devint narrateur et peintre. A l’exception de quelques vieilles légendes qu’il modernisa, en y mettant plus de douceur et d’émotion, la plupart de ses compositions sont des scènes de la vie rustique et populaire. Il aime les humbles et les petits, il trouve des accens attendris pour parler de leurs souffrances. Mais il est loin de s’être affranchi de sa sensiblerie rêveuse. Ses peintures matérielles sont pleines de vérité et de fraîcheur, mais il y a beaucoup de convention encore dans les sentimens et les caractères. Un de ses thèmes favoris, c’est l’histoire banale de la jeune fille pauvre et honnête et du jeune homme riche et beau, qui la séduit et l’abandonne. Poète et démocrate, Van Beers a obéi ici à un préjugé que l’observation dément tous les jours.

Le type de ces poèmes narratifs encore à demi romantiques, c’est un récit en trois tableaux, intitulé : Au parvis. C’est devant le majestueux portail de votre-Dame d’Anvers que se noue et se dénoue l’histoire d’Hélène : le rendez-vous donné par l’humble ouvrière au brillant séducteur à la sortie du salut, l’aumône jetée dédaigneusement par lui à la pauvre abandonnée qui, son enfant sur le bras, le voit passer devant elle à la sortie de la messe de mariage avec la jeune fille opulente qu’il vient d’épouser, enfin la mort désespérée et solitaire d’Hélène sur le pavé du parvis, où le misérable, rentrant chez lui après une nuit d’orgie, heurte en passant et reconnaît le cadavre de sa victime.

Le succès de ce morceau fut extraordinaire, et commença la popularité de son auteur.

Presque tous les sujets traités par Van Beers sont empruntés à la vie des classes inférieures. Ses personnages favoris sont des ouvriers, des paysans, des petits bourgeois. Cependant ce n’est pas un poète populaire. Au lieu de s’abaisser jusqu’à ses héros, il les élève jusqu’à lui. Il choisit parmi les types qui frappent ses regards dans la réalité, non pour s’emparer systématiquement des plus laids et des plus ignobles, comme font les adeptes du naturalisme, mais pour écarter ceux qui lui répugnent.

Rien de plus simple, du reste, que les données de ses petits poèmes domestiques ou villageois. C’est un fait-divers, une anecdote empruntée à quelque traité de morale en action.

Dans l’Orphelin, le poète nous montre un peintre anversois entrant par hasard dans un cabaret de village au moment où le bureau de bienfaisance fait procéder à l’adjudication des vieillards, des infirmes et des orphelins de la commune, qu’on met en pension chez les personnes qui s’en chargent moyennant l’allocation la plus faible. Un gros fermier refuse de reprendre chez lui un petit garçon qu’il s’était fait adjuger l’année précédente, mais qui, au lieu