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pointu, au poil blanc, long, hérissé, mais ayant du chacal dans l’allure et ses yeux fuyans, en gardaient l’entrée. Les hommes, assez loin de nous, faisaient paître leurs ânes et leurs chameaux, tandis que les femmes lavaient des nippes aux eaux du puits où nos chevaux s’abreuvaient. Elles firent, tout d’abord, mine de s’éloigner, puis elles continuèrent leur travail. L’une d’elles était intéressante à regarder, nous rappelant par sa noire chevelure, la petitesse des mains et la façon dont un lambeau d’étoffe écarlate ceignait sa robe bleue, la Judith d’Horace Vernet. Lorsque nous eûmes donné quelque monnaie aux marmots déguenillés qui l’entouraient, elle s’apprivoisa au point de nous laisser examiner de près les colliers formés de verroterie, de monnaie d’argent et de coquillages qui pendaient à son cou. En Algérie, surtout en Kabylie, les hommes de la tribu à laquelle cette femme eût appartenu n’eussent pas manqué d’accourir. Nomade ou non, partout en Tunisie, l’indigène ne montre à l’étranger ni haine ni dédain. Cela repose de la façon dont vous êtes traité et regardé dans d’autres pays musulmans.

Je me suis enquis où il serait possible de voir à l’œuvre les descendans des artistes qui fabriquaient autrefois les belles faïences émaillées dont on trouve de si fins spécimens dans les résidences beylicales et les mosquées. J’eusse voulu voir aussi buriner dans un plâtre d’une blancheur d’albâtre, ces délicieuses arabesques qui décorent les plafonds des palais et dont la mosquée du Barbier, à Kairouan, possède les plus beaux modèles. Hélas ! il n’y a plus d’artistes en arabesques, et les ouvriers faïenciers émailleurs disparaissent peu à peu devant les bas prix de produits similaires, mais communs, provenant d’Italie. Un jour, peut-être, lorsque la Tunisie sera devenue plus française qu’elle ne l’est à présent, il se trouvera un voyageur, artiste intelligent, désireux de faire revivre deux arts d’un charme indéniable. L’irisation de certains plats obtenue déjà par un patient chercheur, M. Clément Massier, du golfe Juan, fait espérer que la résurrection de l’un d’eux est possible et probable.


EDMOND PLAUCHUT.