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temps que des femmes en pleurs allaient implorer la clémence du bey, des sommes énormes lui étaient versées par leurs communautés pour racheter la vie du condamné. Le bey feignit l’attendrissement, mais il donna secrètement l’ordre d’exécution, lequel fut obéi aussitôt.

Sur les conseils de M. Léon Roches, chrétiens et juifs envoyèrent trois délégués en France, chargés de formuler leurs plaintes et d’exposer au gouvernement de Napoléon III combien leur situation était précaire. On les écouta : peu de temps après, lorsque l’exécution du juif blasphémateur paraissait oubliée, une escadre française se présenta dans les eaux de Tunis imposant au bey atterré la charte égalitaire dont j’ai parlé. Son application fut de courte durée : en 1864, à la suite d’un soulèvement qui faillit coûter le trône et la vie à celui qui l’avait octroyée, la charte fut rapportée. Les consuls-généraux de France n’en ont pas moins continué à protéger les juifs : il n’y a plus d’actes arbitraires commis à leur égard. Leur sécurité, aussi bien au point de vue de leurs biens que de leurs existences, devint complète lorsque, le 12 mai 1881, la Tunisie fut placée sous le protectorat de la France. Beaucoup d’entre eux, sans abandonner les grosses opérations, ont repris les métiers de leurs ancêtres, mais la main n’y est plus, saut lorsqu’il s’agit de laver les boukafa, pièces d’or du pays, opération qui consiste à en enlever quelques milligrammes à l’aide d’une dissolution d’acide; ils fabriquent aussi quelques bijoux d’un goût douteux en or et en argent. Quant à l’agriculture, ils l’ont eue toujours et partout en horreur, absolument comme les Célestes qui n’en font plus dans beaucoup de colonies, dès qu’ils ont perdu de vue les rizières de leur terre natale.

Pourquoi suis-je contraint d’ajouter que les colons français aussi bien que les autres immigrans persistent à se dire sacrifiés aux Israélites, aux manieurs d’argent, prêteurs sur gage, agioteurs sur la piastre, fermiers d’impôt et laveurs d’or et d’argent? Aujourd’hui que les motifs qui rendirent les juifs rapaces et les obligèrent à se montrer sous des haillons ont disparu, ne serait-il pas avisé et sage de leur part de montrer moins d’âpreté au gain et de laisser aux nouveaux arrivans quelque chance de lucre? Jusqu’à ce qu’un pareil désintéressement se produise, je conseillerai aux Français pauvres qui voudraient s’établir en Tunisie de se garder d’y songer; ils y récolteraient sûrement la misère, faute de places à occuper. Avec un petit capital, des bras solides, un vif désir de travailler, le résultat serait tout autre. Les terres étant à bon marché, une belle aisance leur serait assurée.

A côté du Sicilien frondeur, du Maltais laborieux, du juif thésaurisant,