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et un organe italien, l’Unione, lequel, l’on s’en doute bien, ne prêche que la désunion. L’Unione et les subventions n’empêcheront pas que, sur 4,060 hectares plantés de vignes en Tunisie, les Italiens n’en possèdent que 386 seulement, contre 3,675 hectares appartenant à des Français. Le commerce italien est soutenu à Tunis par deux maisons de banque israélites, originaires de Livourne, car c’est de cette ville que sortent une grande partie des commerçans établis en Tunisie. Mieux avisés que nos banquiers français, qui ont patronné l’ouverture de canaux aboutissant non à la mer, mais à la ruine des épargnes, les capitaux italiens n’ont pas craint de soutenir de riches pêcheries comme celles de Monastir et de Sidi-Daoud et deux pêcheries de thons sur la côte du cap Bon. J’ai vu et entendu des Tunisiens honorables qui m’ont dit avoir cherché à Paris et à Nantes des fonds pour l’exploitation de ces parages poissonneux et n’avoir rencontré que bourses fermées et capitalistes peureux. N’importe! les maladresses de nos banquiers, les subventions multiples du trésor italien n’arrêteront pas « la marée montante de l’influence française[1]. »

Le Maltais, que chassent hors de chez lui l’aridité de son île et l’arrogance de ceux qui y dominent, vient aussi depuis nombre d’années en Tunisie, où il est sûr, comme le Mahonais d’Alger, de gagner facilement sa vie en faisant de la culture maraîchère. D’autres, préférant une existence plus active, se font marchands de bestiaux, ou bien encore, propriétaires d’une charrette à deux bras, ils parcourent la régence en qualité de voituriers. Dans un pays dépourvu de belles routes, où les lits desséchés des rivières se transforment soudainement en torrens terribles, ces pauvres gens deviennent à la longue d’habiles conducteurs. Lorsque leur épiderme a été bien desséché par le soleil, lorsqu’ils sont faits à toutes les privations et à toutes les intempéries, ils font leur rentrée à Tunis, avec l’ambition, souvent réalisée, d’y devenir le cocher d’un personnage quelconque. Les Maltais, au nombre de dix mille, sont des gens sobres et pieux ; ils nous aiment autant qu’on aime l’étranger qui partage votre croyance et qui a reçu mission de vous protéger. Leurs enfans, grâce à la sollicitude du cardinal Lavigerie, ont désormais des écoles gratuites où les frères de la doctrine chrétienne les instruisent. S’ils ont des vieillards infirmes, on les reçoit dans un hôpital bien aéré que M. Cambon, l’ex-résident général de France en Tunisie, a obtenu gracieusement du bey. En admettant qu’il y ait un jour dans la régence un soulèvement contre nous, l’esprit religieux des Maltais les empêcherait peut-être de s’unir

  1. Voir, dans le Temps, les Lettres sur la Tunisie, par M. Paul Bourde.