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du bey des observations qu’il était rigoureusement de notre droit de lui faire nous-mêmes?

Pour en finir avec ces réminiscences d’une époque barbare, il ne fallait que continuer ce qui s’était fait déjà pour d’autres questions politiques, administratives et judiciaires, c’est-à-dire publier le décret que vient de rendre si tardivement le bey, et qui consiste simplement à rendre justiciables des tribunaux français de Tunisie les malheureux Soudanais que l’on veut, bon gré, mal gré, considérer comme sujets tunisiens, alors que ces noirs supplient la France de les prendre sous sa protection. Il est, du reste, vraiment illogique, toute question de charité à part, de vouloir considérer et traiter comme Tunisiens des infortunés qui ont été arrachés de leur pays par la violence et qui ont été conduits et amenés en Tunisie par force[1].

Le membre du barreau tunisien auquel je dois la connaissance de ce qui se passe en Tunisie relativement à l’esclavage me déclare qu’il est décidé à poursuivre les détenteurs des Soudanais partout où il s’en trouvera. En présence de la force d’inertie qu’on lui oppose, il a besoin, m’écrit-il, de tous les concours, de tous les encouragemens, car il est seul, à ce qu’il assure, à lutter juridiquement dans la régence en faveur des noirs. Les sympathies des lecteurs de cette Revue lui sont certainement assurées. Nous pensons, avec lui, qu’il est temps que l’esclavage disparaisse d’une région où, dès le XVIIe siècle, un Français venait, de son propre mouvement, mû par une charité divine, relever l’énergie de captifs européens ployant sous les souffrances de la nostalgie et de la servitude. Le décret que vient de rendre son altesse le bey, à la stricte observation duquel M. Massicault ne peut manquer de veiller, empêchera sans doute les marchands d’esclaves de considérer la régence comme un de leurs débouchés. Déjà, m’assure-t-on de divers côtés, la disparition de l’esclavage en Tunisie peut être envisagée comme une chose accomplie.


III. — TUNIS AVANT LE PROTECTORAT.

En me rendant pour la première fois aux Indes orientales, il y a de cela pas mal d’années, le capitaine du bateau anglais sur lequel je me trouvais navigua tellement près des côtes barbaresques, que je pus en distinguer une des villes. Comment l’appelait-on ?

  1. Voir, dans la Revue du 15 novembre 1888, le Congrès antiesclavagiste.