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A côté de la chapelle, s’élève un musée renfermant quelques rares débris de la sculpture carthaginoise, une poste et un télégraphe confiés à un père blanc, des couvens, et, comme à dessein pour déshonorer une vue unique au monde, sur le versant d’un coteau admirable de verdure, une rangée de bicoques blanches, couvertes en tuiles rouges ; quelque chose comme un troupeau d’oies transformant en basse-cour une belle pelouse.


II. — L’ESCLAVAGE DES NOIRS DANS LA REGENCE EN 1890.

En parlant, dans le précédent chapitre, de l’odieuse captivité à laquelle avant 1830 les corsaires des états barbaresques soumettaient les Européens qui avaient le malheur de tomber entre leurs mains, je ne pensais pas avoir à dire que l’esclavage, un esclavage occulte, celui de la domesticité, subsistait encore en Tunisie. Si l’on n’y voit plus de blancs ramant sur des galères, on y trouve des nègres et des négresses venus en captivité des régions où les hommes de couleur se vendent comme ailleurs on vend des ânes et des mulets. Arrivés à leur destination, c’est-à-dire à Tunis, ces nègres et négresses ne seraient pas libérés.

Le fait paraît si monstrueux, tellement en opposition avec le rôle que dans l’œuvre antiesclavagiste le cardinal Lavigerie joue en Afrique, sans parler des sentimens libéraux de notre résident général, que l’on répugne à y croire. Et cependant, avant de pousser plus loin cette étude, je tiens, quand je songe à l’astuce des détenteurs d’esclaves, à la polygamie permise en Tunisie, aux harems tunisiens, à leurs eunuques et aux sources claires où j’ai puisé mes informations, à dire ce que je sais. Si ce dire est vrai, — et une dépêche récente de M. Ribot à notre résident paraît le confirmer, — il faut se hâter de l’ébruiter, car il entache non l’honneur, ce qui est un gros mot, du drapeau protecteur flottant sur Tunis, mais sa bonne renommée.

C’est l’article que j’ai écrit le 15 novembre dernier à cette même place au sujet du congrès antiesclavagiste de Bruxelles, qui m’a valu, d’un avocat du barreau de Tunis, M. Gaston Jobard, une intéressante communication. D’après notre compatriote, l’esclavage existe en Tunisie, et il en donne la preuve en citant le récent décret qui interdit la vente des noirs dans toute l’étendue de la régence ; toujours d’après lui, le meilleur moyen de mettre un terme à la traite des noirs serait de fermer les débouchés ou les marches qui se trouvent dans le nord de l’Afrique. La communication de mon honorable correspondant ne s’applique pas à un fait nouveau isolé, car dans un ouvrage publié par M. Duveyrier sur la Tunisie,