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pour les deux pays. Inutile sans doute d’ajouter que les esclaves français, aussi bien que les esclaves corses, y gagnèrent leur liberté. Ceux des autres nations ne jouirent de la même faveur qu’en 1782, à la mort du bey. A cette occasion, trois cents captifs furent déclarés libres par œuvre pie et propitiatoire.

Lorsque Bonaparte débarqua en Égypte, nos rapports avec la régence s’altérèrent encore, la Turquie exigeant que sa vassale tunisienne mît en campagne ses corsaires pour détruire notre marine marchande. Le bey alors régnant, peu hostile à la France, grâce à l’influence que notre consul, M. Devoize, exerçait sur son esprit, n’obéit que mollement. Notre agent, l’un des meilleurs qu’il y ait eus en Tunisie, profitant de ce qu’une escadre française était à La Goulette, obtint la mise en liberté de vingt-deux captifs français dont sept hommes et quinze femmes. M. Devoize évalua la perte éprouvée par le bey à la suite de cette libération à 130,000 Ir. et quoiqu’il restât encore dans les bagnes un grand nombre de prisonniers, il fallut bien se montrer satisfait du résultat obtenu. Lorsque les armées républicaines, partout victorieuses, occupèrent l’Italie, M. Devoize eut encore l’heureuse idée de menacer le bey de la colère du premier consul, colère inévitable, disait-il, si le vainqueur de Marengo venait à savoir que les bagnes tunisiens contenaient deux mille individus, Siciliens, Romains, Toscans, Génois et Napolitains, presque tous alors les protégés de la France. Le bey Hamouda céda encore une fois, et il n’est guère possible de lui refuser quelque sympathie en raison de son désintéressement et de son désir de rester en bons termes avec nous.

Ce n’est pas sans une joie profonde, un grand allégement du cœur, que l’on voit approcher le jour où, par la conquête d’Alger, captifs et corsaires, bagnes et galères, disparaîtront à jamais des états barbaresques.

En suivant page par page, année par année, les Annales des états barbaresques mises si savamment en ordre par M. Alphonse Rousseau, il semble que les bagnes de ces contrées n’aient jusqu’en 1830 jamais connu le vide. Ce sont d’horribles bouges où le bruit des chaînes que les captifs traînent à leurs pieds est incessant, où les pleurs des infortunés qui y sont jetés ne tarissent jamais, car toujours des larmes nouvelles en fécondent la source. La France, bien souvent, a versé son sang pour de nobles motifs, mais jamais pour une plus belle cause. Un jour, l’humanité, libre de se mouvoir hors de limites trop restreintes, délivrée des préjugés qui font de chaque frontière une démarcation de haine, rendra justice à la nation qui combattit toujours pour l’affranchir et la délivrer de la barbarie.

L’Angleterre, naturellement jalouse de ce que nous avions obtenu