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Un gentilhomme poitevin, auquel don Quichotte n’eût pas manqué de donner une forte accolade, le sire Beaulieu dit Briaille, s’indigna fort, dans sa gentilhommière du Poitou, aux récits qu’on lui fit des cruautés commises sur les chrétiens par les corsaires des états barbaresques. Il arme deux vaisseaux à ses frais, et fait voile pour Tunis. Sur les côtes de Sardaigne, un heureux hasard lui fait rencontrer une escadre espagnole, et Beaulieu propose à celui qui la commandait, don Juan Faicharde, d’aller en sa compagnie surprendre les galères tunisiennes, alors mouillées sous la garde des canons de La Goulette. Le commandant espagnol accepte de grand cœur la proposition, et, brusquant l’attaque, Beaulieu et Faicharde réussirent à incendier l’escadre ennemie avant qu’aucun secours ne lui vînt de terre. C’est aussi vers cette époque, au mois de juin de l’année 1607, que saint Vincent de Paul, qui, depuis deux ans, était prisonnier en Tunisie, réussit à gagner les côtes de Provence sur une petite embarcation.

De toutes les villes du littoral européen, c’est Marseille qui a le plus souffert de la piraterie, et si aujourd’hui elle tire quelque profit de notre présence à Tunis, ce ne sera que justice et compensation. En 1616, cette ville perdit, du fait des corsaires, 2 millions de francs, somme énorme pour le temps ; pour leur faire rendre gorge, elle arma cinq gros navires et deux pataches. L’expédition, commandée par un chevalier de Malte du nom de Vincheguerre, partit pour Tunis le 5 mars et en revint victorieuse le 4 septembre. Vincheguerre avait obtenu, comme toujours, la liberté d’un certain nombre de captifs, une indemnité et un traité de paix. Quelle pouvait être la valeur d’un tel instrument? Une feuille de parchemin! Aussi voit-on la France, peu de temps après ce succès des Marseillais, préparer une nouvelle expédition contre ceux qui ne cessaient de la braver. Toutefois elle se laissa devancer, en 1665, par l’amiral anglais Black, lequel fit un monceau de ruines du fort principal de Porto-Farina; il détruisit aussi la ville de ce nom et brûla neuf galères tunisiennes. A la suite de cette dure leçon, l’amiral anglais obtint la mise en liberté de tous les esclaves anglais et hollandais, — on voit qu’il y en avait une grande variété, — qui se trouvaient détenus chez des particuliers ou dans les bagnes. On se demande avec une véritable stupeur de quelle trempe pouvaient être ces forbans des états barbaresques, lorsque, après tant de villes détruites par le canon européen et de galères coulées, ils continuaient à maintenir leur puissance sur la Méditerranée, à l’exemple de ces tigres d’Asie qui règnent sans partage sur la jungle qu’ils ont choisie.

Ce ne fut que vingt ans après les victoires de l’amiral Black que