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de longs mois; les journaux et les revues en ont beaucoup parlé, il n’en reste plus rien à dire. Mais sur quelle mer d’erreurs ne naviguerait-on pas si l’on s’imaginait connaître nos colonies et les pays placés sous notre protection par ce que l’on en a vu à Paris !

Le Tonkin, par exemple, d’après ce qui a été exposé, ne serait qu’une succursale du faubourg Saint-Antoine : tout s’y résumait en bahuts et autres meubles incrustés de nacre ; on ne nous y a montré ni ses minerais, ni ses bois, ni ses céréales, rien de ce qui pouvait aider à justifier cette conquête. Quant à nos colonies de l’Océanie et de l’Afrique occidentale, mieux vaut n’en pas parler. La Tunisie, avec son pavillon des forêts dont un fauve superbe gardait l’entrée, son palais aux fines colonnades et aux claires faïences, sa flore, ses vins, ses huiles, a donné pourtant un ensemble assez parfait de ce qu’elle pourra produire, quand elle aura les voies ferrées et autres qui lui manquent. L’Algérie, également, a fait de son mieux, et, dans la blanche reproduction de la mosquée d’Abd-el-Rhaman qui abritait ses richesses, il n’y avait qu’à louer et à faire des vœux pour que l’éclat dont elle brillait ne fût pas un éclat passager. Il n’est pas jusqu’au puits artésien qui en était voisin, et dont les eaux claires baignaient les racines d’un véritable dattier, qui n’ait été comme une révélation de ce que seront les vastes solitudes du Sahara dans un avenir plus ou moins rapproché.

A la vue des salles immenses où la Tunisie et l’Algérie avaient exposé tout ce qu’elles donnent en spiritueux, on s’est demandé si ces deux pays ont agi bien prudemment en jouant sur une seule carte leur avenir, en faisant en quelque sorte de la culture de la vigne leur unique souci. Il est bien permis d’en être quelque peu inquiet lorsqu’on sait que les plantations de cotonniers auxquelles tout fut jadis sacrifié en Algérie, n’existent plus qu’à l’état de souvenir, et que le phylloxéra, dont la présence en Afrique est indéniable, peut un jour, — à ce que Dieu ne plaise, — s’y développer et y exercer ses ravages.

Et dans un ordre d’idées tout différent, au point de vue administratif et gouvernemental, n’y a-t-il rien à dire? Rend-on aux colons et aux indigènes la part de justice qui leur est due? S’occupe-t-on de les soustraire à l’usure qui ronge leurs cultures et leurs terres? Qui n’a entendu parler des bureaux arabes et des rares faits honteux qui les firent disparaître? Aujourd’hui, ces bureaux tant décriés sont regrettés. Des Kabyles du Djurjura me l’ont maintes fois répété. Ne pourraient-ils être rétablis ou les administrateurs civils qui les remplacent offrir des garanties qu’on leur reproche de ne pas avoir et un prestige qui leur fait défaut en présence d’une race fière et belliqueuse?

Au printemps dernier, j’ai parcouru l’Afrique de Tunis à Kairouan