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comme les rois des monarchies primitives, comme saint Louis sur les marches de la Sainte-Chapelle ou au pied du chêne de Vincennes, mais non pas avec l’esprit de miséricorde et de charité. S’il corrigeait les arrêts, c’était pour les aggraver. Il prononçait motu proprio l’emprisonnement à Spandau et la peine de mort.

Aussi, personne ne se sent-il assuré contre son pouvoir, contre ses caprices, contre ses folies. Dans ces momens de crise, où « sauf le respect qu’on doit à la couronne, on ne peut le comparer qu’à un fou qui a un rasoir à la main, » tout le monde tremble, et plus d’un recommande son âme à Dieu. Même les ministres étrangers ont peur. Un jour, c’était, il est vrai, dans la plus grande tempête que le roi ait traversée, le ministre de France prie son gouvernement de pourvoir à sa sûreté : « Sans quoi, dit-il, je passerais mal mon temps. » Le roi ne s’est-il pas avisé, un jour, sur la nouvelle que ses recruteurs ont été arrêtés en Saxe et condamnés à mort, d’envoyer un de ses ministres chez le résident de Saxe, pour l’avertir que, si l’on touchait à ses hommes, il le ferait pendre! Jugez, par cela, des terreurs de ses sujets. Aussi aspiraient- ils au moment d’être débarrassés de lui. Même parmi les officiers, qu’il tenait sous une discipline féroce et qu’il ruinait par l’obligation de faire des recrues dans toute l’Europe, beaucoup le détestaient. Quarante de ses grands grenadiers, exaspérés par ses fureurs d’exercice et par les mauvais traitemens, complotent de mettre le feu aux quatre coins de Potsdam, de l’y griller et de l’ensevelir sous les ruines. La population civile est exposée à voir, les caporaux, pour exécuter l’ordre d’engager tout de suite quarante surnuméraires par compagnie, arrêter « de vive force » dans les rues et les maisons tout ce qui s’y trouve, jusqu’à des enfans de six ans, que les officiers « font racheter arbitrairement à leurs familles. « Il n’y a pas de maison où l’on ne murmure. « Les peuples sont d’un mécontentement infini. » On espère, on croit que cette désolation ne peut durer. « Il y a toute apparence, écrit Rottenbourg, qu’il arrivera ici quelque révolution. Tout s’y prépare. » Le roi sent bien cette impopularité ; il sait que l’on désire sa mort, même tout près de lui, dans sa famille, ce dont il enrage. Dans une de ses maladies, un médecin lui a fait « observer qu’il n’est pas nécessaire qu’il se rende tous les jours à la parade. » Il répond : « qu’on le croirait mort s’il n’y allait pas ; qu’il aime mieux être réellement malade, pourvu qu’on croie qu’il se porte bien, plutôt que de guérir en laissant au public le plaisir qu’il suppose que lui donnerait sa maladie. »

Contre la haine publique, contre ses souffrances, ses douleurs et ses passions, Frédéric-Guillaume cherche son refuge en Dieu. Sa foi est sincère, émue, ardente ; elle a de grands élans, elle est