Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/616

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa majesté non-seulement de lui donner par lettre ce témoignage, mais encore la liberté et permission de voyager par son royaume, provinces et pays et d’y montrer sa dite force en toutes villes et tous lieux qu’il lui plaira, » ordre était donné aux autorités civiles et militaires de lui être bienveillantes et secourables. Eckenberg, qu’on appelait communément « l’Homme-Fort, » lut promu à la dignité de « maître des plaisirs » du roi et de « Royal-Prussien-Comédien-de-Cour. » Le privilège lui fut conféré de donner « en plus de ses exercices de danse de corde et d’homme fort des représentations théâtrales avec le concours de sa troupe pour la récréation de ceux qui n’ont pas trop à faire... sous la condition qu’il jouera et représentera non pas des choses impies, peccatoires, scandaleuses, déshonnêtes ou nuisibles au christianisme, mais, au contraire, des choses innocentes et qui procurent aux gens un amusement honnête, honestes Amüsement... » Le général-major comte Alexandre de Dönhof lut chargé de la surveillance des comédiens. Nous avons de ce militaire tel rapport où il expose à Sa Majesté : 1° que, conformément à la gracieuse décision de sa majesté portant que le déserteur Jean-Baptiste Mumieux doit être pendu, il a signifié à celui-ci la mort; 2° que l’Homme Fort, Eckenberg, a congédié l’Arlequin et le Dentiste, mais qu’après la représentation à lui adressée sur ce renvoi de deux de ses meilleurs acteurs, sans la permission de sa majesté, il les a repris et leur compte exactement les gages hebdomadaires. Un autre jour, le roi apprend que l’Homme-Fort et sa femme se sont tous les deux soûlés, qu’ils se sont jetés sur le comédien Wallrodi, et, sans raisons, l’ont accablé d’injures, de gifles et de coups. Le général a dû arracher le malheureux des mains d’Eckenberg, qui l’étranglait. Mais les deux ivrognes ont couru sur la scène, insultant et maltraitant les acteurs. La représentation a été arrêtée ; le public s’est enfui. Le général a fait conduire au poste l’Homme-Fort et sa femme qui « l’ont honoré de beaucoup d’injures. »

Ce théâtre de la cour n’était donc pas fait pour adoucir les mœurs. Il jouait de préférence des farces italiennes « pleines d’agréables intrigues et hautement burlesques, Haupt burlesque, » comme dit une affiche. Il employait des personnes vivantes, mais aussi des poupées. Le roi préférait les poupées. Au fond, il n’aimait que les marionnettes. Encore se défiait-il d’elles. Une fois, il avait, au cours d’une représentation, noté quelques paroles choquantes dites par ces acteurs en bois. Il donna au conseiller de consistoire Roloff l’ordre d’aller au théâtre et de lui dire son avis sur la pièce. Le ministre de l’évangile se récuse, invoquant les devoirs et la dignité de son office. Le roi admit ses raisons, mais il alla conter son embarras à un de ses hommes de confiance, Eversmann, chambellan-portier