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Il entend savoir tous les secrets également, « comme le roi très chrétien et le roi de la Grande-Bretagne, et régler avec eux tout ce qui se passera, et comme partie, non comme subalterne et inférieur. » « Si je dois accéder dans cette alliance de Hanovre, je n’y veux pas entrer comme galopin[1]. » Il avait des raisons très précises pour parler ainsi. Il se souvenait des affronts faits à son aïeul, le grand électeur, et à son père Frédéric 1er, des conquêtes qu’il leur avait fallu rendre, des traités signés, après des guerres où ils avaient combattu, sans même qu’ils fussent admis à discuter leurs intérêts.

S’il ne veut pas agir seul, et s’il se déplaît dans toutes les compagnies, que lui reste-t-il à faire? A pester contre toutes les puissances. Il s’en donne à cœur joie. Un jour, que pendant tout un dîner il a parlé à bâtons rompus des affaires du continent, « il termine le repas en faisant boire à tout le monde une rasade à la confusion prochaine de toute l’Europe[2]. » Cette confusion, il l’attendait, il l’espérait. Il s’y préparait, en emmagasinant de la force. Déjà il est « respectable, » il voit bien qu’on tient compte de lui, et il en est très fier : « Toutes les puissances les plus considérables me recherchent, dit-il, et me caressent à l’envi, comme on ferait une épousée... L’on sera toujours obligé de rechercher un prince qui a cent mille hommes sur pied et 25 millions d’écus pour les faire agir. » Il avait déjà gagné ce point de n’avoir besoin de personne. Comme son père et son grand-père, il trouverait bien, s’il le voulait, des subsides à l’étranger; mais « c’est une chose qu’il n’a jamais faite et ne fera jamais. » Il entend rester son maître, il se fait gloire « de ne suivre que son propre mouvement, ou si l’on veut, son caprice momentané. » Les représentans des vieilles puissances sont obligés de prendre les plus grandes précautions pour traiter avec lui : « j’aimerais mieux de ma vie ne manger que du fromage et du pain, disait-il, plutôt que de permettre qu’on m’impose la loi de parler quand je ne le veux point[3]. »

Il marquait des termes à son inaction. Dans un mémoire écrit en 1726, il énumérait les « révolutions » possibles, la mort de la tsarine, celle du roi et de la reine de Suède, du roi de Pologne et de l’empereur. « Toutes ces successions sont disputées, et même, si le roi d’Angleterre venait à manquer, le prétendant pourrait trouver de l’appui, qui peut-être donnerait occasion à des troubles. » Il a survécu à la plupart de ces événemens, qui n’ont pas donné ce qu’il en attendait, ou qu’il n’a pas su mettre à profit. Il se réservait

  1. Archives du ministère des affaires étrangères, Prusse, 1725, 3 novembre.
  2. Id., 1732, 23 août.
  3. Id., 1726, 29 mars, 27 septembre, 8 octobre; 1727, 30 mai; 1733, 3 février.