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des vœux ? Évidemment pour le roi de Prusse. Si l’issue dépend de lui, l’électeur de Brandebourg sera battu en compagnie de l’empereur pendant que le roi de Prusse et ses alliés remporteront la victoire. Ici éclate la contradiction où Frédéric-Guillaume s’est embrouillé toute sa vie. Il n’était pas si aisé de distinguer l’empereur de l’empire. Passe encore que Frédéric-Guillaume attende, espère comme tout le monde, la mort de son « très cher ami » l’empereur Charles VI, et qu’il s’amuse et rie à l’avance des embarras où tombera « l’illustre maison archiducal ». » Charles VI mort, l’Allemagne élira l’empereur qu’elle voudra et la maison des Habsbourg cessera d’être plus sacrée que les autres aux yeux du roi de Prusse. Mais lorsque celui-ci dit au ministre de France : « Il faudra enterrer l’empereur en grande pompe, in pontificalibus… Nous verrons alors un beau charivari ; l’étoffe sera ample, et chacun y pourra trouver de quoi se tailler un justaucorps[1], » il sait, à n’en pas douter, que des puissances étrangères essaieront de tailler dans l’étoffe et qu’il y a grande probabilité qu’elles attaquent au moins « un village d’Allemagne ! » Frédéric-Guillaume a donc oublié plus d’une fois son germanisme. Un jour que le ministre de France, à cheval auprès de lui pendant la parade, le félicite sur la tenue de ses troupes et sur « l’air leste et de guerre qu’elles avaient, » il répond : — « Je suis charmé que vous les trouviez belles, puisqu’elles sont absolument au service du roi de France. Je vous prie de le lui marquer… Dès que la France le voudra, je ferai battre le tambour. » — Deux fois, il répète cette parole[2]. Mais battre le tambour sur l’ordre du roi de France, c’est battre le tambour contre l’empereur, contre l’empire, contre l’Allemagne, c’est ramener les Français dans les affaires de l’empire. Au reste, Frédéric-Guillaume a laissé rappeler, dans le traité de 1725, que la France est garante de la paix de Westphalie et qu’elle « s’intéresse spécialement à la liberté germanique. » Et c’est comme garante de cette paix, comme protectrice de cette liberté que la France a maintenu l’anarchie en Allemagne pour assurer sa tranquillité à elle-même et sa prééminence en Europe.

Frédéric-Guillaume est-il donc capable d’imiter ces princes allemands d’autrefois, qui étaient les valets de notre politique et les ennemis de leur propre patrie ? — Point du tout. On peut affirmer que, si les coalisés de Hanovre étaient entrés en guerre contre l’empereur, il serait sorti de l’alliance au premier village brûlé. Il a traité avec les ennemis de l’empereur, mais c’est pour « l’agacer et l’engager à lui faire des propositions[3]. » Si la maison d’Autriche

  1. Archives du ministère des affaires étrangères, Prusse, 1725, 20 octobre.
  2. Id., 1725, 20 octobre.
  3. Id., 1727, 11 mars.