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Français, aucun Anglais ne doit nous commander, nous Allemands. Je placerai des pistolets et des épées dans le berceau de mes enfans pour qu’ils aident à mettre hors d’Allemagne les nations étrangères.» Ou bien encore : « Si les Français attaquaient un village d’Allemagne, le prince allemand qui ne verserait pas pour le défendre la dernière goutte de son sang serait un kujon. » En termes plus doux, mais très fermes, il rappelle en toute occasion aux ministres de France son patriotisme : « Je ne puis souffrir qu’on porte le flambeau dans l’empire. Je dois, et ma conscience m’y oblige, employer toutes mes forces pour la défense de la patrie. » « Comme prince de l’empire et bon patriote, je ne pourrai m’empêcher d’agir si vous vouliez culbuter l’Allemagne... Monsieur le Français, laissez notre saint-empire en repos, je vous prie. » Monsieur le Français (c’était à La Chétardie qu’il parlait ainsi) ne comprend rien à ce patriotisme ; il s’étonne de voir le roi toujours « retomber dans le germanisme dont il ne peut se dépouiller. » Grumbkow, le ministre favori de Frédéric-Guillaume, déplore cette manie de son maître : « Nous avons affaire à un prince qui, avec beaucoup d’esprit et de finesse à certains instans, s’absorbe, dans d’autres, dans des idées de germanisme, d’où le diable ne saurait le tirer. » Voilà bien, en effet, un des traits du caractère de ce prince : il est Allemand, bon Allemand, et c’est de tout cœur qu’il crie à table son : Vive la Germanie de la nation allemande (vivat Germania deutscher Nation). Mais cette Germanie n’a rien à voir dans les affaires de l’empereur hors d’Allemagne. C’est pourquoi en même temps qu’il prie Monsieur le Français de laisser tranquille le saint-empire, il lui dit : « Chassez l’empereur et les impériaux d’Italie si vous voulez; je veux que le diable m’emporte si j’y envoie un homme! « Il conseille même la conquête des Pays-Bas, comme celle de la Péninsule : « Vous rendrez service à Sa Majesté impériale, à qui ces pays sont fort à charge[1]. »

En vertu de ces distinguo, qui sont choses de l’Allemagne d’autrefois, il peut arriver que Frédéric-Guillaume, en un seul et même moment, soit avec et contre l’empereur. En effet, lorsqu’il s’est allié avec la France, en 1725, il s’est réservé de fournir à l’empereur le contingent qu’il lui devait, en sa qualité d’électeur, en même temps qu’il assisterait le roi de France du nombre de troupes fixé par le traité. Il est vraiment dommage que cette clause n’ait pas été appliquée, et que l’Europe n’ait pas eu le spectacle du roi de Prusse combattant l’électeur de Brandebourg.

Supposons ce combat engagé. Pour qui Frédéric-Guillaume fera-t-il

  1. Archives du ministère des affaires étrangères, Prusse, 1727, 18 février; 1733, 29 août, 3 septembre et 15 octobre; 1735, 29 janvier.