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II.

Tout le monde sait comment Frédéric-Guillaume, appliquant à l’armée le « plus » de ses recettes, a fait de la Prusse une puissance militaire de premier ordre. Les 83,486 hommes qu’il a laissés à son fils, et sur lesquels 70,000 étaient toujours prêts à marcher, c’était plus que les 160,000 hommes de l’armée française, disséminée en garnisons nombreuses, beaucoup plus que les 100,000 hommes de l’Autriche, qui avaient à défendre tant de pays, si éloignés les uns des autres. Mais une des étrangetés de l’histoire de ce prince, c’est qu’il n’a su ni voulu se servir de cette force.

Deux fois seulement il a pris les armes ; au début de son règne, contre la Suède ; vers la fin, contre la France, dans l’affaire de la succession de Pologne. Encore ne s’est-il engagé que le moins possible, et non sans angoisses. Il est vrai qu’il a régné dans une période de paix, et que les grandes occasions d’essayer au feu son armée ne se sont pas présentées, mais l’Europe, en ce temps-là, se croyait chaque jour à la veille de la guerre. À peine la grande affaire de la succession d’Espagne a-t-elle été réglée par les traités d’Utrecht, de Rastadt et de Bade, que l’Espagne, pour regagner ses annexes perdues, attaque l’Autriche et provoque contre elle une triple, puis une quadruple alliance, à laquelle elle finit par adhérer. Puis, pendant que l’Europe travaille à la réconcilier avec l’Autriche, celle-ci, faussant compagnie, s’entend directement avec l’Espagne contre les médiateurs. Alors la France et l’Angleterre se liguent contre l’Espagne et l’Autriche. Après quelques hostilités, l’Europe tout entière se met à négocier. Cette fois, c’est l’Espagne qui fausse compagnie à l’Autriche, laquelle est obligée de céder à la volonté de l’Europe. Enfin lorsque Stanislas Lesczinski a été chassé de Pologne par les Russes, la France déclare la guerre à l’Autriche, qui s’est faite la complice de la Russie, et l’affaire polonaise se termine par un traité qui donne au roi de Pologne un duché en France, au duc de Lorraine un duché en Italie, à l’infant don Carlos le royaume de Naples. Ce fut donc un étrange chassé-croisé de négociations et d’intrigues, à croire, comme disait lord Chesterfield, que l’Europe était devenue folle. Or Frédéric-Guillaume, qui fut sollicité souvent par les faiseurs de ligues et de contre-ligues, ne sut point figurer avec grâce dans ces quadrilles.

À ne prendre que les grands faits de sa politique, on le voit, en 1725, adhérer à la ligue conclue à Hanovre entre la France et l’Angleterre, contre l’Autriche ; puis s’unir à l’Autriche, une année à peine écoulée, persister assez longtemps dans cette alliance ; à