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répondant aux aspirations légitimes des croyans qui veulent être des hommes de foi et des hommes de science ; pareillement, il faut que la vie de Jésus-Christ soit racontée suivant les exigences de l’histoire.

C’est à ce besoin profond qu’essaie de répondre le présent ouvrage.

Les partisans de ce qu’on appelle aujourd’hui l’école critique vont dire : Le Christ du dogme et de la tradition, le Christ des apôtres, et des Évangiles interprétés suivant la doctrine de l’Église, n’est pas et ne peut pas être le Christ de l’histoire. Ce Christ idéal. Dieu et homme, Verbe incarné, conçu par un miracle inouï, se disant le Fils unique de Dieu, au sens métaphysique et absolu, multipliant les prodiges, parlant comme le quatrième Évangile le fait parler, ressuscitant trois jours après sa mort, s’élevant au ciel à la face de ses disciples, après cinquante jours, n’est pas un homme réel. Il n’existe que dans la fantaisie pieuse des croyans, qui l’a créé de toutes pièces.

Le vrai Jésus, le Jésus de l’histoire, est né comme tous les hommes, il a vécu comme eux, il n’a pas plus fait de miracles qu’eux, il a enseigné une morale plus pure, fondé une religion moins imparfaite que les autres, et comme tous les réformateurs, en général, succombent sous l’intransigeance de leur milieu, il a été la victime de l’intransigeance juive ; il est mort comme nous ; il n’est ni ressuscité, ni vivant en Dieu.

Je suis révolté, — qu’on me pardonne le mot, — non-seulement dans ma foi de chrétien, mais dans mon impartialité d’homme, de cette contradiction entre le dogme et l’histoire, érigée en principe et opposée comme la question préalable à une vie de Jésus Dieu et homme. Convaincu que Jésus a été le Dieu invisible dans un être humain semblable à nous, comme historien je le regarde vivre, tel qu’il est, dans cette double nature.

La question de la Divinité divise les plus grands esprits, depuis la venue du Christ ; elle les divisera sans fin ; c’est déjà un phénomène étrange que Jésus seul ait soulevé un tel problème, qui ne s’endort jamais dans la conscience de l’humanité, un problème avec lequel on est sûr de l’émouvoir toujours. Je ne me permettrai ici qu’une simple réflexion historique à l’adresse des hommes sans prévention, des vrais critiques, à l’esprit largement ouvert.

Cette contradiction violente dont Jésus est l’objet a été prophétisée. Elle durera autant que le monde ; elle afflige le chrétien, mais il ne s’en étonne ni ne s’en trouble ; il y voit le signe de son Maître. Elle s’est produite du vivant même du Christ. Tandis que ses disciples, répondant à sa question, lui disaient : « Vous, vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant, » les hommes, les Juifs disaient : Il