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insubordonné ou compromettant. Fielding déplore la quantité d’annonces qu’on lisait tous les jours et où les gens essayaient de rentrer en possession de quelque bien dérobé, par la promesse de ne faire aucune enquête. Il raconte que des officiers de justice lui ont avoué plus d’une fois qu’ils avaient passé à côté de certains criminels avec des mandats d’arrêt dans leur poche sans oser mettre la main sur eux. Passe encore quand cette inertie n’était due qu’à la peur ! Mais la police et même les gens de loi étaient souvent de connivence avec le crime, à tel point qu’Horace Walpole osait écrire en 1742 : « Les plus grands criminels de Londres sont les officiers de justice. »

Comme les individus faibles, qui sont capables des plus grandes violences et qui n’ont dans leur conduite aucun équilibre, le code pénal de l’Angleterre était absurde et barbare. Nulle proportion entre l’offense et le supplice. Un simple filou était pendu, un fabricant de fausse monnaie brûlé ; on exécutait une pauvre servante coupable d’avoir dérobé des boucles d’oreilles ou un paysan qui avait coupé un arbre, et George II trouvait cela juste : car, disait-il, un chêne de forte taille est plus précieux qu’une vie humaine ; on refait un autre homme plus vite et plus facilement qu’un beau chêne. Les scènes de prison d’Amelia qui nous montrent un soldat blessé moisissant sur la paille humide pour avoir volé trois harengs ; un vieillard, la tête affaissée sur l’épaule de sa fille, mourant là d’épuisement et de misère pour avoir dérobé un pain, ne sont pas une exagération romanesque : en 1749, un nommé Wills expia sur la potence le crime d’avoir antidaté un billet. Une des conséquences de ce beau système était que les voleurs de grand chemin n’hésitaient pas à tuer les gens qu’ils rançonnaient puisque l’assassinat ne leur faisait pas courir de plus grands risques que le vol. Par une autre conséquence naturelle, l’arbitraire remplaçait la justice ; comme on ne pouvait pas en conscience pendre tout le monde, on épargnait souvent, même contre l’évidence, de grands criminels qui auraient mérité la corde, et il n’y avait pas plus d’équité dans les sentences d’acquittement que dans celles de condamnation.

Les juges de paix, qui ne doivent pas être confondus avec les nôtres, paraissent avoir joui d’attributions fort étendues, puisqu’ils pouvaient envoyer les gens non-seulement en prison, mais à la potence. Ils n’avaient pas de salaire fixe, et le nom de casuel serait trop poli pour désigner leurs honoraires ; le fait est qu’ils se laissaient tout simplement graisser la patte, soit par les plaideurs, dans les cas où un différend était porté devant leur tribunal, soit par les délinquans eux-mêmes ou par les personnes intéressées à les faire relâcher ou pendre. Le peuple les appelait marchands de