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en somme, pour eux, le courant de l’époque ; et les idées dont ils étaient les représentans ne dataient ni d’Iéna ni de Tilsit.

Dès les premières années du siècle, même auparavant, sous le règne de Frédéric-Guillaume II, la nécessité d’une transformation radicale dans l’organisation de l’armée prussienne, avait été plus d’une fois ressentie. Rüchel avait proposé, dès 1802, au roi, une refonte complète de l’organisation militaire ; notamment, la suppression des exemptions du recrutement. Mais, encore à cette époque, une semblable réforme devait rencontrer, non-seulement la résistance de l’esprit de routine, mais aussi celle de l’esprit libéral et humanitaire, qui réagissait contre l’arrogance et l’envahissement de la domination militaire. Par une conception où se mêlaient à la fois les souvenirs des anciennes oligarchies et les tendances philanthropiques du XVIIIe siècle, on considérait le service militaire comme une oppression, et l’on appelait les exemptions du recrutement des libertés. Les projets de Rüchel donnèrent lieu, dans les conseils mêmes de Frédéric-Guillaume III, entre le général et Menken, le conseiller relativement libéral du roi, à des scènes très vives.

En avril 1806, avant la guerre, au moment où le parti national commençait ses premières démarches, Scharnhorst proposait au duc de Brunswick la création d’une milice nationale, projet que les conseillers du roi écartaient assez sommairement.

Et, dans un mémoire écrit au milieu des épreuves de la retraite, en décembre 1806, Gneisenau demandait la suppression des exemptions, le service généralisé, l’accès des grades pour tous. La netteté avec laquelle il signalait les causes de la ruine de l’armée prussienne indiquait assez que ses réflexions avaient devancé les événemens.

C’est un trait commun de plus, entre la réforme militaire et la réforme sociale, que les désastres n’avaient point fait naître les idées qui les dominaient l’une et l’autre. Ils en imposèrent seulement la réalisation.


III

Les difficultés ne furent pas moindres pour Scharnhorst et pour la commission de réorganisation militaire, que pour Stein et pour la commission immédiate. Aux uns et aux autres, les appuis sûrs et fixes faisaient défaut, et les obstacles naissaient naturellement des faiblesses de la volonté royale, si mal préparée à la tâche qui s’imposait à elle. Les historiens prussiens ont longtemps admis et souvent répété que Frédéric-Guillaume III avait, en matière