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de l’honneur étaient les ressorts les plus puissans de la guerre : « On ne voit aller au combat, écrivait Scharnhorst, que ceux que la force y pousse, et les causes des guerres sont toujours les mêmes : l’instinct naturel à l’homme de la destruction réciproque. »

Quelques années plus tard, l’action des armées révolutionnaires démontrait que le régime démocratique n’était point incompatible avec le sentiment de l’intérêt général, ni voué fatalement à l’individualisme. Elles manifestaient, aux yeux de tous, la puissance invincible des armées nationales et la force incalculable que pouvaient donner, à l’expansion militaire des nations, les idées qui les pénétraient et les soulevaient dans leurs couches profondes. Elles établissaient, en un mot, l’action des forces morales dans les succès militaires ; et, après Iéna, ce problème ardu de la psychologie du champ de bataille était devenu, pour les Prussiens, une question pratique, de l’intérêt le plus vital.

Treize ans après avoir écrit la page que nous venons de citer, en avril 1806, même avant les désastres de la Prusse, Scharnhorst, — s’il n’était point devenu un esprit moins philosophique, — défendait contre les partisans de l’ancien état de choses, des idées directement opposées et un projet de milice nationale ; — seize ans plus tard, il préparait contre la domination française un projet d’insurrection nationale : « Il faut, écrivait-il le 27 novembre 1807, il faut inculquer à la nation le sentiment de son indépendance, détruire les anciennes formes, briser les liens du préjugé, guider l’œuvre de la régénération et ne la point troubler dans son libre développement. »

Quel revirement s’était produit dans les idées de Scharnhorst ! et par quel retour soudain les événemens l’avaient préparé à associer son action à l’action politique de Stein et de Hardenberg ! Il semble que ce soient leurs idées mêmes qu’il exprime dans les lignes qui précèdent.

Tous les hommes qui lurent ses collaborateurs étaient, du reste, entraînés dans le même courant. Ils avaient reçu les mêmes impressions et en avaient tiré les mêmes conclusions. Aucun n’eût été enclin à contester le rôle des idées révolutionnaires dans les succès militaires de la France ; et, lorsque l’on parcourt les mémoires, les correspondances, les ouvrages de théorie militaire où ils ont laissé la trace de leurs conceptions, l’on y retrouve, avec une concordance frappante, — chez l’un, plus généralisateur, l’affirmation du rôle des forces morales dans la guerre, — chez l’autre, plus enclin à l’analyse, la discussion des mobiles qui forment, chez le soldat, la base du courage militaire ; — chez tous, l’influence très vive des exemples de la Révolution française, la