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donne l’unité de direction. Et quelle direction ! Le sort de chaque officier, qu’il s’agît de sa carrière, de son avancement, de sa vie privée, de son mariage, de l’éducation de ses enfans, était livré à l’arbitraire pur du roi. Frédéric II n’aimait pas voir ses officiers mariés ; il refusait souvent, même à ceux qui se proposaient de satisfaire à toutes les exigences de l’esprit de caste, l’autorisation nécessaire. Mais, en revanche, l’organisation était tenue tout entière entre les mains d’un chef qui la connaissait, la possédait et la dirigeait.

Depuis la mort de Frédéric II, ce dernier avantage avait disparu. Dans l’armée, comme dans la direction des affaires politiques, le régime personnel n’avait laissé que des ruines derrière lui. Et tandis que Frédéric laissait, en disparaissant, ce squelette que n’animaient plus son initiative hardie et sa volonté puissante, tout, au dehors, se modifiait. Les méthodes de guerre subirent, durant les grandes crises de la fin du siècle, une transformation radicale. Que l’on compare la guerre de sept ans aux campagnes de la révolution, d’une part, ces armées sans contact avec la nation, ces longues et lentes manœuvres se poursuivant durant des années, ces négociations qui se prolongent à l’infini et où se discute le sort de quelque province ; d’autre part, ces guerres actives et violentes qui tranchent le sort de la société moderne et de l’Europe, ces masses d’hommes puisées dans la nation et animées de son esprit, ces campagnes foudroyantes et décisives. En Prusse, les guerres du XVIIIe siècle, où la diplomatie et ses lenteurs jouaient, au milieu des événemens militaires, un rôle si capital, avaient laissé des traditions qui n’étaient pas près de s’éteindre ; et, si l’habileté consommée des négociations de Frédéric II avait, en regard des temporisations de Daun, servi plus d’une fois sa cause, les intrigues des chefs militaires qui n’étaient plus tenus par une main de fer, leur goût des manœuvres politiques, présentaient, en face de l’ardeur des armées révolutionnaires ou de la décision de la politique napoléonienne, un contraste trop frappant et des causes trop visibles d’infériorité. L’état-major de Möllendorf avait été, en 1793 et en 1794, un foyer d’intrigues, au sein desquelles la coalition s’était dissoute. Et, en 1806, l’état-major du duc de Brunswick, avec ses indécisions, avait présenté, par le contraste avec l’activité et la résolution du vainqueur, comme un tableau parlant, où étaient écrites les causes de la défaite.

Il faudrait ajouter à ce tableau les vices d’organisation matérielle, les sacrifices faits à la routine des parades, l’encombrement des impedimenta, la vieillesse des officiers, leur peu de goût pour la guerre, l’organisation des compagnies, toutes ces causes de