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été d’abord duchesse de Boufflers, entonne d’une voix sonore le premier vers du quatrain de Tressan :


Quand Boufflers parut à la cour.


A l’instant même on tousse, on éternue. Il poursuit :


On crut voir la mère d’Amour.


L’agitation redouble. Après le troisième vers :


Chacun s’efforçait de lui plaire,


Vaudreuil s’arrête, voyant la stupéfaction peinte sur tous les visages.

— Achevez donc, monsieur, reprit la maréchale, et elle fredonne elle-même le dernier vers :


Et chacun l’avait à son tour.


L’avidité de Vaudreuil, sa soif d’influence, dépassent toute mesure. Privé pendant la guerre d’Amérique de la jouissance de ses propriétés de Saint-Domingue, il se fait attribuer une pension de 30,000 livres, puis, par le crédit du comte d’Artois, échange cette pension contre un domaine d’égale valeur. Compris sans aucun titre dans une promotion de maréchaux de camp, investi de la charge de grand fauconnier qui se bornait à recevoir solennellement, une fois l’an, les gerfauts d’Islande ou les faucons envoyés de Malte, il obtint, grâce à l’obligeance de Calonne, son protégé, une avance de 1,200,000 livres, une autre de 600,000 livres. A ses yeux, le trésor public est une mer, qui n’y boit pas est un sot ; cela s’appelait alors les bienfaits de la cour. Il sollicita aussi la charge de gouverneur des enfans de France. D’ailleurs nullement vénal, et un jour que Beaumarchais vient lui offrir un gros pot-de-vin s’il veut patronner un projet financier : « Monsieur, répond Vaudreuil, vous ne pouviez venir dans un meilleur moment, car j’ai passé une bonne nuit, et jamais je ne me suis mieux porté que ce matin ; hier je vous aurais fait jeter par la fenêtre. » Ce brillant parasite se passionne pour les questions de personnes et les trigauderies de la cour, il entend être l’arbitre des grâces, provoque la chute du prince de Montbarrey, qui lui a refusé de lucratives survivances, rappelle avec hauteur à M. de Castries qu’il l’a fait maréchal de France. Pendant plusieurs années, il demeure