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l’art de la repartie diplomatique, de l’épigramme adoucie, de la louange raffinée qui flatte l’interlocuteur sans abaisser la dignité du complimenteur et sauve parfois une situation tendue ou compromise ; — les trois Coigny, le duc, le comte, le chevalier ; le duc, nommé en 1774 premier écuyer du roi, ami fidèle de Choiseul, homme de grandes manières, d’une discrétion à toute épreuve, fort jaloux, à certain moment, de la faveur de Lauzun et de Mme de Polignac auprès de la reine, le type du courtisan habile et loyal ; le comte de Coigny, gros garçon réjoui, « bon seigneur qui veut que, à commencer par lui, tout le monde soit bien accueilli, bien traité, bien libre, bien heureux dans un grand château (Mareuil), trop grand pour les réparations qu’exige son entretien ; » le chevalier, joli homme fort à la mode, que les femmes appelaient Mimi. Mme de Genlis lui trouvait l’air distrait, insouciant et en même temps étourdi, une gaîté affectée, un ton moqueur qu’il ne quittait jamais ; causant peu, mais dans chaque visite laissant un mot, bon ou mauvais, que l’on citait toujours ; et, ce mot une fois lancé, ne parlant plus. Il se gaussa spirituellement de Le Pelletier de Mor-fontaine, l’ancien prévôt des marchands sous Louis XVI, homme assez intelligent, très bon, mais d’une fatuité insupportable, en dépit de certaine infirmité qui empêchait ses meilleurs amis de demeurer près de lui dans une voiture fermée. Un jour il va le voir, le trouve étendu sur sa chaise longue, près d’une table couverte de fioles, de sachets, et tout pâle, car il n’avait pas encore mis son rouge. Voilà Le Pelletier qui lui annonce, d’un ton d’importance, qu’il vient de rompre toutes ses liaisons et le consulte pour savoir à quelle femme il devra adresser ses soins. Charmé de mystifier un sot, le chevalier passe en revue les beautés d’épée et les beautés de robe les plus accomplies, et lui de trouver à toutes quelque défaut qui le rebutait. « Ma foi, mon cher, conclut enfin Coigny en éclatant de rire, puisque vous êtes si difficile, je vous conseille d’imiter le beau Narcisse et de devenir amoureux de vous-même. »

Les coryphées, les vrais meneurs du salon, sont MM. d’Adhémar, de Besenval, et surtout Vaudreuil. Simple lieutenant dans un régiment d’infanterie, connu d’abord sous le nom de Montfalcon, le premier s’était distingué par une action d’éclat au combat de Warbourg ; mais étant sans faveur, sans fortune et sans liaisons, il n’obtint que la croix de Saint-Louis avec la place de major dans une petite ville : une retraite plutôt qu’un encouragement. Le hasard fit pour lui ce que n’avaient pu le courage, la volonté. En feuilletant les parchemins déposés dans les archives du castel d’une vieille tante, il trouve des titres établissant sa descendance de la