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mari premier écuyer et duc héréditaire, 400,000 livres pour payer leurs dettes, 800,000 pour la dot de leur fille, la terre de Fenestrange, qui rapportait 70,000 livres ; quinze mois après, une pension de 80,000 livres sur le trésor royal, la direction générale des postes et haras octroyée le 1er janvier 1780, le beau-père nommé ambassadeur en Suisse, la place de capitaine des gardes promise à leur gendre, le duc de Guiche ; la comtesse Diane, malgré sa réputation équivoque, dame d’honneur de Madame Elisabeth ; ces faveurs, suivies d’autres encore, déchaînèrent les envieux, mécontentèrent le public. Marie-Antoinette n’y prenait point garde, et semblait même se faire un jeu d’exaspérer la jalousie en prodiguant à son amie des marques de sympathie exorbitantes qui, très injustement d’ailleurs, firent comparer Mme de Polignac à la maréchale d’Ancre. Elle entraîne chez elle le roi et toute la cour, prend son bras le soir et traverse ainsi les antichambres, remplies de monde, sans autre suite qu’un valet de chambre et deux valets de pied. La duchesse s’absente-t-elle ? Elle lui écrit régulièrement. Est-elle enceinte ? On décide qu’au moment des couches la cour ira s’établir neuf jours à la Muette. Et les fétichistes de l’étiquette de gémir de ces infractions au rituel. Mais n’oubliaient-ils pas les escapades de la duchesse de Bourgogne courant dans les jardins de Marly, s’asseyant auprès des femmes de chambre à l’église, et surtout ces fameux lavemens que l’espiègle prenait, appuyée sur un écran, en présence de Louis XIV, qui fut longtemps sans le savoir et qui s’en amusa beaucoup quand il l’apprit ? En somme, le salon de Mme de Polignac fit grand tort à Marie-Antoinette : il développa chez elle le goût des conversations oiseuses, de la moquerie sans esprit et des distractions futiles qui prolongent l’ignorance, dégoûtent petit à petit des bonheurs fondés sur la dignité de l’âme et le sentiment de la grandeur dans le devoir. Et c’est une question de savoir si la favorite d’une reine ne nuit pas autant à la royauté que la favorite d’un roi.

A Versailles, le salon de la duchesse a pour cadre une grande salle de bois construite à l’extrémité de l’aile du palais qui regarde l’Orangerie ; au fond un billard, à droite un piano, à gauche une