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conjugal, sevrée pendant sept années des joies de la maternité, elle désirait qu’on l’aimât pour elle-même, cherchait une amie intime et crut l’avoir trouvée dans Mme de Lamballe d’abord, puis dans Yolande de Polastron, comtesse de Polignac[1]. Un visage enchanteur, au sourire, au regard vraiment célestes, peu d’esprit et d’instruction, mais beaucoup de douceur et de grâce dans le caractère, de droiture dans le jugement, avec certain penchant à l’indolence, une âme sensible et bienveillante, une modestie délicate qui lui faisait souvent répondre de bonne foi : ce que vous me dites là est au-dessus de ma portée, ces qualités avaient charmé la reine, qui conçut pour Mme de Polignac une très vive affection. Seule avec elle, dira-t-elle plus tard, je ne suis plus reine, je suis moi. Cependant cette sympathie menaçait de demeurer stérile, si les intimes de la comtesse n’eussent imaginé un stratagème qui devait leur permettre de s’élever en élevant la jeune comtesse. Par leurs soins, sous leur dictée, celle-ci écrit à la reine, exprime sa douleur de s’éloigner d’une princesse qui lui témoigne tant de bontés ; mais la médiocrité de sa fortune lui fait une loi de quitter Versailles, et aussi la crainte que cette amitié, après lui avoir attiré de dangereux ennemis, ne la laisse livrée à leur haine. La fuite dans les saules, avec les variantes que nécessite le progrès ! Elle eut le même effet ; Marie-Antoinette retint Mme de Polignac, l’installa auprès d’elle, et, lorsque la princesse de Guéménée perdit la charge de gouvernante des enfans de France, une intrigue à peu près pareille, ourdie par le baron de Besenval, amena la favorite à lui succéder. Aussi bien, honneurs, grâces, dignités, tout va à sa famille, à son insatiable entourage[2]. Le tabouret pour elle, son

  1. Sur Mme de Polignac et sa société intime, voir : Histoire de Marie-Antoinette, par Maxime de la Rocheterie, 2 vol. in-8 ; Perrin. — Mémoires de Mme de Genlis, d’Oberkirch, Campan, de Besenval, de Ségur. — Lettres du chevalier de l’Isle au comte de Riocour et au prince de Ligne. — Sainte-Beuve : Causeries du Lundi, t. XII. — Duc de Lévis : Souvenirs et Portraits. — Mémoires sur la vie de la duchesse de Polignac. — Correspondance de Mirabeau et de La Marck. — Correspondance secrète du comte de Mercy. — La marquise de Bombelles au marquis de Bombelles (archives de Versailles). — Pierre de Nolhac : le Château de Versailles au temps de Marie-Antoinette, Versailles ; Aubert, 1889. — Portefeuille d’un Talon-Rouge. — Adolphe Jullien : la Comédie à la cour, le Théâtre de Mme de Pompadour.
  2. Un membre de cette famille, le cardinal de Polignac, a laissé une grande réputation comme diplomate. Envoyé à Rome pour négocier la réconciliation du pape et de Louis XIV, il met tant de grâce et de dextérité dans sa conduite qu’il arrache ce compliment à Alexandre VIII : « Je ne sais comment vous faites ; vous semblez toujours de mon avis, mais c’est moi qui finis par être du vôtre. » Ambassadeur de Louis XIV au congrès d’Utrecht, il tient aux Hollandais ce fier langage : « Nous traiterons de vous, chez vous, sans vous. » Artiste et savant, il composa un poème latin, l’Anti-Lucretius, très apprécié alors, où il combat les doctrines philosophiques de Lucrèce. — Au XVIIIe siècle, une marquise de Polignac est presque célèbre par ses boutades, ses plaisanteries brusques, son caractère fantasque et la hardiesse spirituelle avec laquelle elle avouait sa passion pour le comte de Maillebois. Afin de soutenir les intérêts de son ami, elle avait été chez Mme du Barry, et on lui passa cette démarche, parce qu’elle était sûre que toutes les personnes qui savent aimer l’excuseraient ; ce qui fit dire à M. de Valence que, dans le monde, pour avoir un ridicule, il faut l’accepter, mais qu’on n’en a jamais lorsqu’on s’en moque gaîment et sans embarras. La marquise de Polignac avait des mots à elle, des mots comme celui qu’elle lança en entendant vanter Mme de Lutzbourg, qui, malgré ses soixante-dix-huit ans, se montrait étonnamment leste et active : « Oui, elle a toute la vivacité que donnent les puces. »