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consolée quand de l’Isle lui communique les bouts-rimés que MM. de Thyard, de Durfort, Boufflers et lui-même arrangent à Chante-loup pendant une après-midi pour amuser les hôtes des Choiseul. Les rimes proposées étaient : bouc, pincette, knouc, chaises, escroc, fraises, froc ; de l’Isle et Boufflers sortirent vainqueurs de ce carrousel poétique.


DE L’ISLE.
Ma belle effacerait celle qui monte un bouc (Vénus) ;
De ses bras ronds et blancs l’Amour fit sa pincette :
Riche de ses faveurs, je crains peu la disette ;
Plutôt que la quitter, je recevrais le knouc.
Un gazon nous tient lieu de sophas et de chaises,
Nous y bravons la faux de ce vieillard escroc,
Et deux globes de lis, surmontés de deux fraises,
M’y donnent la vertu des turbans et du froc.
BOUFFLERS.
Pour bien, j’ai des moutons, quelques chèvres, un bouc :
En été l’éventail, en hiver la pincette,
Sont mes armes ; je fuis le faste et la disette,
Et crains peu la potence, et le pal, et le knouc.
J’ai pour meubles un lit, une table et trois chaises :
Sur aucune jamais ne s’assit un escroc ;
Je dîne avec du pain, de la crème et des fraises,
Et je suis sans simarre, et sans casque, et sans froc.


Une autre fois, le jeune comte d’Albon ayant célébré la marquise, frappée comme Homère par Apollon jaloux, qui ensuite, pour réparer sa faute, lui donne comme secrétaires


Les Muses, les Grâces légères,
Et pour guide le Goût,


de l’Isle se chargea de répondre au nom de Mme du Deffand, et, tout en rappelant avec grâce que le dieu jaloux se repentit et lui céda ses droits en France, il demande galamment au jeune poète :


Mais ce guide dont Apollon
Assura ses pas et sa gloire,
N’est-ce pas vous, jeune d’Albon ?
Vos vers me le feraient bien croire.


Mme du Deffand remercia le chevalier, mais se garda bien de montrer les vers à M. d’Albon, car ils lui tourneraient la tête, et il n’a que trop de penchant à devenir auteur. Le croirait-on ? Il a, sans la consulter, fait mettre ses vers partout, dans le Mercure,