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qui avaient pris des vêtemens laïques étaient facilement reconnaissables ; respectés par les uns, ils étaient par les autres regardés de mauvais œil. Il y avait là aussi sans doute des gens chargés de nous observer. L’académie étant sur les murs de la ville, nous pouvions être d’intelligence avec les assaillans et nous préparer à leur donner la main. Rien que sur un tel soupçon, nous risquions d’être envahis. On ne nous menaçait point ; mais comment répondre du sentiment populaire et nous défendre contre des actes isolés ? Malgré ces dangers, des discussions étaient engagées. Les affaires de France étaient, dans les colloques, mêlées à celles de Rome. De là des dissentimens et des contestations souvent violentes. M. Alaux, qui avait mis toute la maison au service de ses hôtes, veillait activement à ce qu’ils ne devinssent pas un danger pour elle. Il intervenait pour calmer les esprits surexcités et pour les ramener au sentiment de la situation, à l’exacte appréciation des choses. Sa raison, son patriotisme, son calme, exerçaient une influence qui fut profitable à tous. Il faut ajouter que le dévoûment simple de Mme Alaux inspirait aussi à tous le courage et le respect.

Le soir, les détonations devinrent plus raies et plus lointaines ; le combat cessa. L’armée était en retraite. La nuit fut pénible. On attendait pour le lendemain un retour offensif. Ceux d’entre nous qui dès le matin s’approchèrent du bord de la terrasse qui regarde la ville furent reçus par des coups de fusil. Aucune tentative ne fut renouvelée. Beaucoup de braves gens avaient été tués sous les murs du Vatican. Un bataillon presque entier avait été fait prisonnier à la porte Saint-Pancrace. C’était un revers. Nous le ressentions jusqu’au fond de nos cœurs et de la façon la plus cruelle.

Cependant, la colonie française continuait à demeurer à la villa Médicis, entourée d’une protection très ostensible, mais peu à peu délogée par une garnison. On nous apportait maints complimens de condoléance qui ne pouvaient être bien sincères, et l’on cherchait à nous inspirer la sécurité. Bientôt les nécessités de la défense furent plus fortes que le désir d’user de ménagement, et l’occupation devint complète. L’agglomération de Français qui s’était faite à la villa se trouva dispersée. Le directeur et les pensionnaires allèrent chercher asile au palais Colonna, où avait été notre ambassade. Mais là, non-seulement c’était le désœuvrement absolu, mais encore la vie commune devenue impossible. On ne pouvait même songer à habiter des locaux offrant si peu d’espace que quatorze d’entre nous étaient confinés dans un étroit passage. Les circonstances nous obligeaient donc à cesser tout travail et à nous diviser ; cela était de toute évidence et présentait plus d’un danger. Notre directeur pensait que son devoir était, avant tout, de nous