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par M. de Gagera, n’allait à rien moins qu’à mettre l’Autriche en dehors d’un empire purement germanique qui tendait à s’agréger autour de la Prusse. Ces idées n’étaient pas nouvelles ; elles étaient populaires, et le drapeau rouge, jaune et noir, que les artistes allemands nous montraient à Rome à la faveur de leurs fêtes olympiques, était salué avec enthousiasme des Alpes à la Mer du Nord. Cependant elles étonnaient et il semblait peu probable qu’elles vinssent jamais à se réaliser. Qui pouvait prévoir qu’il y eût là un avertissement pour nous ! Ce qui nous frappait davantage, c’était l’état de l’Autriche, parce qu’elle était alors pour les Italiens l’ennemie. Surprenante fut cette manifestation des étudians bohèmes et hongrois, dont la conséquence tut la chute du légendaire M. de Metternich. Horribles étaient les massacres de femmes et de généraux ; inouïes les fuites, les rentrées et les abdications des princes ; extraordinaires enfin les conflits et les confusions qu’on voyait se produire au sein de cet état bouleversé. Dans l’antagonisme des élémens magyar, slave et allemand, se manifestait l’énergie des nationalités qui, incorporées à l’empire et mises en lutte les unes avec les autres par le pouvoir impérial, finissaient par se tourner contre lui et semblaient le pousser à sa ruine. Ces révolutions et ces guerres mettaient en scène des hommes qui passionnaient l’opinion. On parlait beaucoup du Ban Jellachich, de Bem et de Gœrgey, aujourd’hui plus ou moins oubliés ; et on voyait apparaître M. Kossuth dont on parle encore.

Mais notre attention était concentrée sur la France et sur l’Italie. Elle était d’autant plus excitée, que notre situation nous réduisait à n’être, de loin ou de près, que des spectateurs impuissans. A Paris, la proclamation de la République, les journées de Juin, la promulgation de la Constitution et l’élection du prince Louis Bonaparte à la présidence, étaient des événemens qui, selon leur nature, nous émouvaient fortement, mais qui se déroulaient loin de nous. Nous étions également en dehors de ce qui se passait en Italie, quoique nous fussions réellement au milieu des choses. Là aussi, tous nos sentimens étaient mis en jeu. Chaque jour nous apportait quelque grande nouvelle : la proclamation de la république à Venise, l’entrée de Charles-Albert en Lombardie et les premiers succès des armes piémontaises. Bientôt éclatait la révolution de Toscane et enfin celle de Rome, qui nous mettait en face de la réalité. Elle était vraiment redoutable. Le 15 novembre, le comte Rossi fut assassiné, et la ville fut le théâtre de scènes terribles. Ceux qui assumaient la responsabilité du meurtre, précédés d’une bande de musiciens, allaient aux casernes, en faisaient sortir les soldats et, mêlés à eux et fraternisant avec eux, parcouraient les rues éclairées sur leur passage, au milieu des applaudissemens. L’attaque