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participe de la vie du sujet et rentre dans l’unité qui est une des conditions de l’art. Quand il a eu à restituer une œuvre ancienne, il s’est rendu l’esclave, mais l’esclave intelligent de l’original, dont il sentait que l’honneur, autant que la conservation, étaient entre ses mains. En comparant les peintures de Fontainebleau aux gravures les plus accréditées pour rappeler leur état primitif, la savante abnégation de M. Alaux devient, je crois, manifeste. Enfin, le tableau de la Réception de la corporation de Londres par le roi Louis-Philippe est à son tour un document que les artistes et les familles seront, plus tard, empressés de consulter.

Chez M. Alaux, le travail du pinceau est aisé et sans affectation aucune. C’est une peinture qui ne cherche pas à se montrer. Je sais gré à l’artiste de ne pas m’occuper de lui par des recherches de métier. En dépit de ce que l’on peut dire, le moi, quand il se montre dans les arts, autrement que par la supériorité du sentiment et par l’excellence de la forme, est de peu de valeur. Il y a des habiletés matériellement voyantes qui sont de véritables hors-d’œuvre. M. Alaux était un praticien habile ; mais ce n’était pas à cela qu’il faisait consister le mérite du peintre d’histoire. De même aussi, ne prétendait-il pas faire tout céder à sa personnalité. La sienne restait toujours subordonnée au programme qu’il avait accepté, et il me semble qu’en cela il était parfaitement logique. Bien représenter les faits dans les conditions où ils se sont passés, nous les montrer à leur date et dans leur milieu, c’est l’originalité de l’artiste-historien, originalité qui naît du sujet même, qui ne risque pas de nous lasser par monotonie et qui, changeant à chaque œuvre nouvelle, se manifeste par un inépuisable renouvellement.

La peinture de M. Alaux a cette qualité de ne point détourner l’attention à son profit. Elle est souple et claire. Elle est abondante et discrète : vraie peinture de faits simple et juste, excellente ad narrandum et qui rappelle le style limpide des meilleurs historiens.


IV

Les années qui s’écoulèrent entre 1827 et 1843 furent pour M. Alaux les plus belles de sa vie. Il avait obtenu des succès de plus en plus brillans et il ne pouvait méconnaître que son talent ne se fût grandement développé. Il était entré dans une famille honorable et qu’il connaissait de longue date, en s’unissant à une personne accomplie. Entouré de douces affections, il voyait grandir à son foyer une fille douée dès son enfance des talens les plus gracieux. Un bonheur aussi parfait ne pouvait être que fragile. La charmante jeune fille fut enlevée à ses parens par une