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éclatantes. Nous avons hérité de ces goûts. Pour nous, pas de grands talens hormis ceux qui sont incomplets. Pour quelques dons heureux que nous pouvons apprécier, nous passons condamnation sur le reste. Et c’est ainsi que s’explique la fortune des œuvres faiblement équilibrées qui font aujourd’hui nos délices.

M. Alaux assista seulement à l’exposition de 1822, et cette même année il était de retour à Rome. Il y devançait Pierre Guérin, son ami et son maître, qui venait d’être nommé directeur de l’Académie de France. Bientôt il s’installait près de lui à la villa Médicis et il y peignait un tableau qu’on venait de lui commander : Psyché descendue sur la terre par Mercure. Il était encore à Rome en juin 1824. Son frère était venu l’y retrouver, son frère toujours occupé de théâtres, toujours rêvant de panoramas, toujours sûr de trouver chez son cadet un dévoûment absolu. Le Salon s’ouvrit, cette année, le 25 août, et M. Alaux s’y montra avec le Centaure et le Lapithe et avec la Psyché ; il avait trente-neuf ans et il exposait pour la première fois. Ses tableaux furent accueillis avec faveur et ils obtinrent une médaille d’or. Mais ce succès, si mérité qu’il fût, s’effaçait devant celui d’un autre artiste : Ingres avait apporté d’Italie le Vœu de Louis XIII. Cette belle œuvre témoignait non-seulement du talent de son auteur, mais encore d’une direction d’études toute nouvelle ; Ingres s’était inspiré directement des maîtres de la Renaissance. David disait : « Raphaël me rapproche de l’antique. » Ce mot résumait bien son objectif borné. Mais, pour Ingres, Raphaël était une expression suprême de l’art au même titre que les anciens.

Au fond, le génie d’Ingres était surtout historique. Il avait, des premiers, associé l’archéologie à l’histoire et il cherchait principalement le caractère. Il est probable que la vue des chefs-d’œuvre de l’art rassemblés à Paris avait développé chez lui un sentiment si nouveau ; le Musée des monumens français ne l’avait pas moins touché que le musée du Louvre. En réalité, son imagination voyait les sujets dans le milieu même auquel ils appartenaient, et, pour les rendre, il se plaçait dans les conditions de l’art contemporain des faits. Son talent vivait ainsi dans une migration incessante. Mais il vivait ; et grâce au sentiment puissant qu’il avait de la nature, le maître était de chaque, époque avec l’habileté qui lui était propre et une forme qui sera de tous les temps.

Maintes fois déjà il avait montré cette faculté qu’il possédait d’appartenir, à son gré, à une époque voulue, depuis le Raphaël et la Fornarina et le Pape Pie VII tenant chapelle, jusqu’à Charles V, régent de France, rentrant à Paris. Avec le Vœu de Louis XIII, il exposait encore Henri IV jouant avec ses enfans et François Ier recevant le dernier soupir de Léonard de Vinci. Par la gravité de