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a fait depuis bien des progrès, et maintenant il paraît dédaigné. Il était alors dans sa période ascendante, et il a permis à M. Alaux de fixer ces vues qui plus tard seront consultées par ceux qui voudront nous faire connaître Rome telle qu’elle était au commencement du siècle.

Ainsi s’écoula le temps de la pension de M. Alaux. En vivant à Rome, en jouissant de cette plesante demure dont Montaigne reconnaissait déjà tout le charme, au milieu des chefs-d’œuvre de l’art et en face d’une admirable nature, les hôtes de l’Académie soupçonnaient-ils le travail politique qui s’opérait autour d’eux ? Savaient-ils que de généreux esprits travaillaient au réveil de l’Italie ? Avaient-ils entendu parler d’un grand patriote qui publiait un journal appelé il Conciliatore, beau titre qu’avec un autre but que la politique intérieure on pourrait reprendre aujourd’hui ? Le nom de Manzoni était-il parvenu jusqu’à eux avec celui de Pellico ? L’égalité d’esprit qui était un des traits du caractère de M. Alaux et une sorte d’optimisme qui le soutenait, furent-ils troublés, lorsque, au moment où il revenait en France, les Autrichiens occupèrent le royaume des Deux-Siciles et le Piémont ? Je ne sais ; ses lettres réservées ne nous parlent que de ses études et de sa famille.


III

Pendant le séjour de M. Alaux en Italie, un grand mouvement s’était opéré dans les esprits. A son retour, en 1821, il trouva le monde des arts profondément divisé : une nouvelle école s’était élevée contre celle à laquelle il appartenait et que l’on considérait comme ayant fait son temps. La querelle des classiques et des romantiques était vivement engagée. Le Radeau de la Méduse avait paru au Salon de 1819 et avait fait sensation. L’auteur de cette peinture, Théodore Géricault, n’était pas un inconnu pour M. Alaux : il était élève de Guérin. Admirateur de Gros, il avait d’abord exécuté dans le genre de ce maître le Chasseur et le Cuirassier. Mais le tableau de la Méduse était une œuvre absolument originale. Un autre novateur plus jeune et qui allait bientôt paraître, Eugène Delacroix, sortait aussi de l’atelier de Guérin. Enfin, un artiste qui, sans faire école, avait déjà, par la souplesse de son talent, conquis la popularité, Horace Vernet, avait étudié chez Vincent. Il semblait naturel que M. Alaux fût attiré dans un milieu brillant où il avait tant d’attaches, et qu’il suivit le mouvement que ses condisciples imprimaient au goût et à l’opinion. Il n’en fut rien cependant. C’était plus tard, d’une autre manière, que les idées nouvelles devaient exercer sur son talent une influence heureuse.

Il s’était aussi produit, pendant ces dernières années, un fait