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que fût d’ailleurs le travail politique apparent ou caché qui s’opérait dans les esprits, on s’abandonnait généralement à une quiétude, on éprouvait un sentiment de délivrance et une confiance dans l’avenir, que la génération à laquelle appartenait M. Alaux n’avait pas encore connus.

Nulle part cet apaisement ne devait être plus profond qu’à Rome et dans les états de l’Église. Et, en effet, malgré le système de compression adopté d’accord par tous les gouvernemens d’Italie, le caractère paternel de Pie VII faisait disparaître tout au moins en apparence ce qu’un tel régime avait de rigoureux. En tout cas, on ne pouvait guère en ressentir les effets à la villa Médicis. Depuis son rétablissement, en 1804, l’Académie était installée dans ce beau lieu devenu terre française. À ce titre, la villa avait droit d’asile : on y vivait donc dans une entière liberté. Mais à quoi la surveillance du dehors eût-elle pu s’appliquer ? Les pensionnaires étaient tout au bonheur d’être à Rome. Ils y passaient cinq années sans que le règlement les autorisât à rentrer en France. Néanmoins ils se sentaient dans une situation privilégiée, ils ne se considéraient point comme en exil ; et, sous cette règle acceptée, personne n’eût songé à se trouver à plaindre. Après avoir désiré aller à Rome et ardemment travaillé à y conquérir une place enviée, les élus s’y tenaient et ne semblaient pas avoir la nostalgie de Paris. Les cinq années de la pension étaient considérées par tous comme le plus beau temps de la vie, et plus tard, on s’en souvenait comme d’une fête de la jeunesse.

L’époque du séjour de M. Alaux à Rome peut compter parmi celles qui furent honorables pour l’académie. Il y a, dans l’histoire de cette institution, des époques plus ou moins brillantes, plus ou moins favorables au développement de l’art. Quand on consulte la liste des pensionnaires, on voit que ceux qui furent les compagnons de M. Alaux sont devenus des artistes importans et ont été, en somme, les maîtres de toute une génération. Les peintres Drölling, Picot, Léon Cogniet, les sculpteurs David d’Angers, Pradier, Etienne Ramey, ont tous longuement tenu et fait école. Ils ont formé de nombreux élèves, et il faut passer au directorat d’Ingres et de M. Alaux pour trouver, parmi les pensionnaires de l’Ecole de Rome, des hommes destinés à exercer, sur l’enseignement, une pareille influence.

Cette influence, les contemporains de M. Alaux l’ont acquise sans y avoir songé. L’autorité qu’on devait, leur reconnaître leur est venue des circonstances dans lesquelles leurs talens se sont formés. La Restauration apportait un idéal nouveau. David n’était plus en France ; Gérard et Girodet jouissaient d’une grande considération, mais n’avaient pas de crédit sur la jeunesse. Gros