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l’enseignement français avec l’enseignement classique, ail n’y a qu’un enseignement vraiment classique : c’est l’enseignement dont la base est l’étude des langues anciennes. Tout autre enseignement qui tendrait au même but par d’autres moyens ne peut être qu’un simulacre d’enseignement classique dont le besoin ne se fait point sentir. L’enseignement spécial doit rester ce qu’il est : un enseignement à tendance pratique, utilitaire. Il doit être tout entier dirigé en vue de former des esprits tels précisément qu’en réclament l’agriculture, le commerce et l’industrie. » Mais le conseil eut la faiblesse et l’imprévoyance d’accepter le baccalauréat de l’enseignement spécial. Que fit alors le ministre de l’instruction publique ? Contrairement aux formelles déclarations du conseil, il s’entendit avec les autres ministres, ses collègues, pour considérer le baccalauréat spécial comme équivalent, parfois même supérieur aux autres baccalauréats, à l’entrée des carrières libérales et des fonctions administratives. Grâce à ce biais ingénieux, les protestations du conseil restèrent platoniques. Au baccalauréat spécial, la littérature, la morale et la philosophie réunies ont droit à un suffrage sur huit ; la philosophie et la littérature ne représentent chacune qu’un vingt-quatrième des suffrages ! Les mathématiques et la comptabilité ensemble ont deux suffrages ; les sciences physiques, deux ; la langue vivante, un, etc. D’où il résulte mathématiquement que la morale vaut un tiers de la comptabilité. Ce calcul est, comme on dit, « fin de siècle. » Voilà les lettrés et les philosophes de l’enseignement spécial[1]. Ces nouveaux bacheliers n’en ont pas moins à peu près les mêmes privilèges que les anciens bacheliers ès lettres et bacheliers ès sciences. Leur titre est équivalent à celui de bachelier ès sciences restreint pour les études médicales, de bachelier ès sciences pour l’École polytechnique, pour l’École de Saint-Cyr, pour l’entrée dans la plupart des ministères, pour la licence ès sciences et le professorat ès sciences, etc. En un mot, c’est l’école primaire envahissant tout ce qu’on avait autrefois réservé aux études vraiment classiques. On n’a admis que deux exceptions, en ce qui concerne le droit et la médecine ; ici seulement le baccalauréat spécial ne peut tenir lieu du baccalauréat ès lettres. C’est, d’ailleurs, une inconséquence ; déjà la logique radicale a réclamé contre ces exceptions, surtout en ce qui concerne la médecine ; elle réclamera encore bien mieux quand nous

  1. Le curé de leur village se fera un malin plaisir de citer à ces « bacheliers » quelques vers de Virgile ou quelque verset biblique, qu’ils écouteront en ouvrant de grands yeux : Beati pauperes spiritu, ou : Innocentibus manus plenas. Ils auront beau répondre par une règle de comptabilité, le « préjugé » du latin sera longtemps le plus fort, parce qu’il représente, après tout, une tradition française.