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Quant aux programmes d’enseignement français qu’on mot en avant, ils mêlent les diverses études à peu près comme le font les programmes classiques actuels. Sauf quelques différences de détail dans la proportion des diverses sciences, vous voyez reparaître ces sciences l’une après l’autre comme dans le cours classique. La seule différence essentielle est la substitution d’une seconde langue vivante au latin. Nous voilà donc sauvés parce qu’au lieu d’ajouter, par exemple, à l’Hamlet de Shakspeare l’Enéide, on y ajoutera le Faust de Goethe ! C’est pour ce grand résultat qu’on veut bouleverser l’enseignement secondaire, désorganiser les vraies « études classiques, » les vouer à l’asphyxie en raréfiant leur milieu. Au lieu d’apprendre tous le latin et une langue moderne au choix, nos enfans apprendront « une langue vivante fondamentale et une langue vivante complémentaire. » A quelle diversité essentielle d’aptitudes aura-t-on ainsi donné satisfaction ? Quels sont les esprits inaptes à l’union du latin et de l’anglais, mais aptes à l’union de l’allemand et de l’anglais ? Encore une fois, votre plan d’humanités modernes est un monceau de contradictions : c’est un enseignement général spécial, un enseignement désintéressé utilitaire. Votre instruction prétendue classique, comme la chauve-souris de la fable, peut dire : Je suis générale, libérale, littéraire et poétique, voyez mes ailes ! Je suis spéciale, industrielle, commerciale et agricole, voyez mes pattes !


II

La maîtresse colonne du nouvel édifice qu’on voudrait construire, c’est l’enseignement des langues vivantes. « Depuis que les idiomes modernes ont fini de se constituer, dit-on, pourquoi ne remplaceraient-ils pas les langues mortes[1] ? » Telle est la manière expéditive dont on tranche la question par une simple interrogation, sans se soucier ni de l’histoire, ni des élémens essentiels de notre littérature nationale et de notre esprit national. On oublie qu’il y a des raisons non seulement pédagogiques, mais historiques et patriotiques pour que la France, nation néo-latine, qui doit en grande partie au commerce de la littérature latine les qualités héréditaires de sa langue et de sa littérature propre, de son goût et de ses arts nationaux, de son esprit national lui-même, ne brise pas son dernier lien avec l’antiquité classique en sacrifiant le latin dans l’enseignement des classes « lettrées. » Nous l’avons montré dans un travail

  1. Bulletin de l’Association nationale pour la réforme de l’instruction secondaire.