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l’enseignement libéral à une petite minorité, invoquent soit l’intérêt des études classiques elles-mêmes, soit l’intérêt des professions industrielles, agricoles et commerciales.

En ce qui concerne l’intérêt des études classiques et des vraies « vocations » littéraires ou scientifiques, c’est, selon nous, l’entendre à rebours que de réduire l’enseignement classique à un nombre de plus en plus minuscule, sous prétexte de faire la part du feu et d’abandonner la majorité à ses préoccupations utilitaires. Quelle « vocation » pourrait tenir devant l’universel abaissement des études, devant l’indifférence de l’État, devant la rareté croissante des lycées classiques, ou devant les facilités offertes dans chaque lycée pour se soustraire à l’enseignement du latin, du grec, de la philosophie ? Il faut beaucoup d’appelés pour avoir peu d’élus. Sous prétexte de former artificiellement une élite, de faire une sélection, on l’empêchera de se former naturellement. Les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de la France (à moins que les établissemens ecclésiastiques n’y suppléent) seront privés des collèges qui suscitent les vraies vocations littéraires, philosophiques et même scientifiques, car la vocation scientifique commence presque toujours par être littéraire et humaniste. La sélection ne s’opère que sur de vastes champs et sur de grands nombres ; sous prétexte de diminuer les prétendus « fruits secs » de l’enseignement classique, on empêchera les fruits féconds de se produire : c’est comme si on voulait ne garder qu’un petit nombre d’arbres dans une forêt, sous prétexte qu’il y a beaucoup de fleurs et de fruits qui tombent à terre sans mûrir. N’est-ce pas à force d’essais plus ou moins fructueux que la nature réussit ses chefs-d’œuvre ? Cette loi scientifique est méconnue de tous ceux qui veulent restreindre l’enseignement libéral sous prétexte d’en faire mieux profiter une élite. Ta vraie méthode consiste non à mutiler et à découronner les études, mais à émonder toutes les branches inférieures de l’arbre, à élaguer tout le fatras historique, géographique, pseudo-scientifique et pseudo-littéraire, tout ce qui n’est qu’érudition, affaire de mémoire, détail, spécialité.

Les organisateurs de l’Association pour la réforme de l’enseignement secondaire reprochent aux études classiques « de détourner les jeunes Français des professions industrielles, de les attirer en proportion trop forte vers les fonctions publiques ou dans quelques carrières toujours encombrées, » de faire « trop de bacheliers, trop de solliciteurs, de mécontens, de déclassés. » C’est un procédé d’éloquence à la mode que l’anathème aux déclassés, qui, disait récemment un sénateur, eussent fait de bons industriels et de bons commerçans. Mais est-ce bien parmi les humanistes et les latinistes que les déclassés sont à craindre ? Ce n’est point des bourgeois