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M. Zola à l’un de ses confrères ; et il n’a jamais pardonné ni ne pardonnera jamais à M. Taine de s’être enfoncé dans la recherche des Origines de la France contemporaine au lieu d’employer son temps, son talent, et ses forces à commenter l’épopée naturaliste des Rougon-Macquart. C’est ainsi que Hugo ni Balzac n’avaient pu pardonner à Sainte-Beuve de s’être moins soucié de la Cousine Bette ou des Misérables que de ses « bonshommes » de Port-Royal, — comme les appelait Flaubert, — que du livre d’Arnauld sur la Fréquente Communion, ou des Essais de morale de Nicole, ou des Pensées de Pascal.

Voilà peut-être une étrange façon d’entendre la critique ; et, si ce n’était qu’il faut soigneusement éviter jusqu’à l’air de plaider dans sa propre cause, nous ne la passerions ni aux Hugo, ni aux Balzac, et bien moins encore à M. Zola. Mais personne, heureusement, n’ignore que depuis une cinquantaine d’années, en dépit des romanciers, la critique n’a pas étendu moins loin que le roman lui-même ses conquêtes, son domaine, sa juridiction. Et qui sait, à considérer les choses d’un peu haut, si ce ne serait pas ici, précisément, la secrète raison de leur hostilité ? Rara concordia fratrum ! Par des chemins différens, le roman et la critique, depuis Sainte-Beuve et depuis Balzac, — j’essaierai de le montrer quelque jour, — ont tendu constamment au même but, qui est ce que Balzac appelait « l’histoire naturelle des cœurs, » et Sainte-Beuve « l’histoire naturelle des esprits. » Entre la Comédie humaine de l’un et le Port-Royal ou les Lundis de l’autre, à peine semblerait-il d’abord qu’il y eût quelque ressemblance, ou seulement des rapports lointains. Ce sont cependant bien des œuvres du même temps, dont l’objet est le même ; également inspirées de l’émulation de faire pour le règne humain ce que les Cuvier, les Geoffroy Saint-Hilaire, les Lamarck, avaient fait ou faisaient pour le règne animal ; et des œuvres dont on peut aisément se convaincre qu’elles nous procurent le même genre d’instruction, de profit, et de plaisir. J’en pourrais dire autant de l’œuvre critique de M. Taine et des romans de M. Zola. Si l’auteur des Rougon-Macquart est fort loin d’avoir tenu toutes ses promesses, et si depuis longtemps déjà le romantique qui est en lui l’a emporté sur le naturaliste, toujours est-il qu’il a voulu d’abord écrire « l’histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire ; » et, pour l’auteur de l’Histoire de la littérature anglaise, l’originalité de sa tentative ou de son rôle, quelle est-elle parmi nous, sinon d’avoir, en y introduisant les méthodes et les préoccupations de l’histoire naturelle, vraiment renouvelé la critique et l’histoire ? La qualité des esprits diffère, et leur éducation, et surtout la portée des œuvres : l’ambition n’en est pas moins la même, et, tôt ou tard, c’est ce qu’on verra bien, à la nature des conclusions, qui déjà se rapprochent et en plus d’un point se rejoignent… Mais si je voulais insister davantage, ces considérations