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géographiquement, qu’ils sont en nombre insuffisant dans des centaines de localités séricicoles, puisqu’on doit transporter la feuille parfois à plusieurs lieues, à grands frais et au détriment des vers qui refusent cette feuille échauffée ou flétrie par les manipulations, l’entassement et le séjour sur le marché.

Les éleveurs de vers à soie ne peuvent donc accroître que très lentement leur production de cocons ; de 800,000 kilogrammes de soie, ils peuvent péniblement monter d’année en année, à la condition que le temps soit toujours propice, à 1 million de kilogrammes, à 1,200,000, à 1,500,000. Or nous consommons à millions 1/2 de kilogrammes de soie pour notre fabrication. Pendant ce temps, moulinages et tissages devront donc, sous peine de périr, acheter au dehors leurs soies majorées d’un prix de 8 francs : c’est la ruine certaine.

Admettons même l’hypothèse invraisemblable que les sériciculteurs pourraient fournir les 4,500,000 kilogrammes de soie qu’ils n’ont jamais produits aux jours de leur plus grande prospérité, que feraient nos tisseurs d’une soie belle à coup sûr, mais qui ne saurait convenir pour tous les tissus ? Les soies de France ont en effet des qualités remarquables, mais on ne peut les employer que pour certaines étoffes très limitées. Il n’est même presque pas d’étoffes où l’on puisse les employer exclusivement. Dans certaines soieries pures de type supérieur, les soies d’Italie et même certaines soies du Japon sont préférables, les unes parce qu’elles sont plus fines, les autres parce qu’elles ont des qualités spéciales que l’étoffe réclame. Pour nombre de tissus mélangés, les soies de France sont hors d’état de servir parce qu’elles coûtent un prix double de celui de certaines soies sauvages que l’Asie nous envoie. La consommation n’achètera plus ces soieries légères si on lui vend à 5 francs le mètre une soierie qu’elle payait 2 francs et même 1 fr. 50. Ce serait un véritable désastre au moins pour les fabricans et les ouvriers qui, tissant des soieries légères à bon marché, sont hors d’état de supporter une pareille augmentation du prix de revient. Mieux vaudrait renoncer à toute exportation. Nos soieries sont déjà frappées d’un droit de 7 fr. 50 au kilogramme en Allemagne, 5 francs en Autriche, 8 francs en Italie, 4 fr. 88 en Russie, 4 francs en Espagne, 8 pour 100 ad valorem en Turquie et 50 pour 100 aux États-Unis. Elles ont à payer en France un droit d’entrée variant de 0 fr. 20 à 3 fr. 50 le kilogramme sur leurs filés de coton. Elles ont à lutter contre des concurrentes qui ne paient aucun droit sur les matières premières et dont la main-d’œuvre est à très bas prix. Comment peut-on espérer qu’elles ne succomberont pas quand aujourd’hui même les produits se présentent sur les marchés avec des