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installant sur place et côte à côte les filatures, les moulinages et les tissages. Les principaux centres manufacturiers sont à New-York et à Paterson. Ils sont appelés à réduire de plus en plus les importations européennes aux États-Unis.

Les soieries françaises n’ont plus seulement à lutter contre leurs concurrentes d’Europe et d’Amérique. Un autre danger non moins redoutable les menace. L’Asie ne se contente plus de nous envoyer sa soie filée ; nous voyons apparaître, sous le nom de corahs et de pongées, des taffetas légers écrus, ressemblant au foulard et qui obtiennent un assez grand succès en France, en Angleterre et aux États-Unis. Ces étoffes, qui entrent déjà pour une dizaine de millions de francs dans notre consommation française, sont fabriquées, les corahs dans l’Inde, à Allahabad, à Bénarès, dans le Pundjab et le Bengale ; les pongées, en Chine, dans les provinces centrales et méridionales. Si l’on observe que la production intérieure de la Chine en soieries est évaluée à plus de 300 millions de francs, que celle de l’Inde doit atteindre 150 millions ; si, d’autre part, l’on tient compte que cette production énorme s’obtient avec des métiers primitifs, à peu près pareils à ceux dont on se servait dans l’antiquité, avec deux ouvriers, dont l’un soulève les fils de chaîne et dont l’autre passe la navette et frappe la trame avec la règle de bois, on comprend ce que pourront effectuer ces industries le jour où elles seront en possession d’outillages semblables aux nôtres, avec le double avantage de la matière première sur place et du travail à vil prix. Nous serons, du reste, promptement fixés à ce sujet, car le Japon est déjà entré dans la voie nouvelle. Des filatures à l’européenne se sont établies dans les provinces de Kioto, d’Yama-chiro et de Djochiou, et l’on évalue à 40,000 le nombre des métiers japonais fabriquant le taffetas, le brocart et le crêpe, les mouchoirs et les foulards. Ces deux derniers articles seuls sont exportés en Europe pour une somme d’environ 6 millions de francs. Il n’est pas jusqu’au Tonkin qui ne soit un important centre de fabrication locale, consommant plus d’un million de kilogrammes de soie recueillis presque en entier sur son territoire.

On voit par ce tableau de la fabrication universelle de la soie, combien cette industrie se développe avec rapidité dans les pays où la soierie française était autrefois sans rivale et dans ces centres d’Orient dont les produits inférieurs ou ayant un caractère purement local semblaient ne devoir jamais se présenter sur nos marchés européens. S’il n’est pas exact de dire que nos fabriques françaises soient en décadence, la vérité ordonne cependant de reconnaître qu’elles restent stationnaires pendant qu’autour d’elles toutes leurs rivales grandissent avec une rapidité imprévue. Le